La fiducie, est-ce pour vous?
Une fiducie peut être un outil fiscal intéressant pour les entreprises agricoles, pourvu qu’elle soit bien utilisée.
Il existe des moyens de plus en plus sophistiqués pour passer le flambeau à la jeune génération, avec le moins d’impacts possible. Certaines pratiques gagnent cependant en popularité. Il n’est pas rare aujourd’hui d’entendre parler de la création d’une fiducie familiale en milieu agricole pour optimiser la fiscalité du producteur qui souhaite vendre ou se retirer de l’entreprise agricole. Si un effet de mode explique en partie le phénomène, la tendance a de bonnes raisons d’exister, selon Maude Caron-Morin, avocate fiscaliste au cabinet Therrien, Couture Joli-Cœur, s.e.n.c.r.l. situé à Québec.
Mais il serait peut-être bon tout d’abord de définir ce qu’est une fiducie. « Une fiducie est un patrimoine d’affection, c’est-à-dire une personne à part entière (…) Elle sert à recevoir de l’argent ou des biens puis à les distribuer aux bénéficiaires de la fiducie », explique Mme Caron-Morin.
Une fiducie est généralement gérée par trois personnes, les fiduciaires qui prennent ensemble des décisions sur sa gestion. Dans le cas d’une entreprise agricole, il s’agit souvent du producteur, de son conjoint et d’une personne externe, comme le conseiller, le comptable ou l’avocat avec lequel l’entreprise fait affaire, explique la spécialiste. Les bénéficiaires sont quant à eux les personnes à qui des biens ou des revenus de la fiducie peuvent être versés.
Pour résumer, on pourrait dire qu’une fiducie est une forme de transit entre les biens et les revenus reçus par la fiducie et ses bénéficiaires, à laquelle on a recours généralement en raison de ses avantages fiscaux. « On la met en place pour servir de courroie de transmission », résume l’avocate fiscaliste.
Les avantages de la fiducie dans un contexte agricole
C’est un outil particulièrement intéressant pour le secteur agricole pour deux raisons, explique la spécialiste. « Lorsque les actionnaires d’une entreprise agricole vendent les actions de la ferme, chaque actionnaire qui est un individu a le droit, sous certaines conditions, d’exonérer d’impôt le premier million de dollars de gain en capital réalisé sur la vente de ses actions. Lorsque les actions de l’entreprise agricole sont détenues par une fiducie, la fiducie peut attribuer une partie du gain en capital généré lors de la vente des actions entre les bénéficiaires qui sont des individus et chaque individu pourra, si certaines conditions sont remplies, exonérer d’impôt le premier million de gains en capital reçu de la fiducie. Prenons l’exemple d’une fiducie qui vend ses actions détenues dans une entreprise agricole et qui réalise un gain en capital de cinq millions. La fiducie attribue un million de dollars de gain en capital à cinq individus bénéficiaires qui pourront profiter de la déduction pour gain en capital d’un million de dollars chacun, ce qui permettra de bénéficier d’une exonération fiscale totale de cinq millions plutôt que d’un million. C’est ce qu’on appelle dans le jargon « la multiplication de l’exonération du gain en capital ». C’est une approche intéressante en matière agricole en raison de la valeur importante des terres, de l’immobilier et des quotas détenus par les entreprises agricoles ».
Il faut cependant prendre en note que l’on garde rarement des revenus dans la fiducie puisque celle-ci est imposée au taux marginal maximal, lequel est actuellement de 53,31 %.
L’autre raison de s’intéresser aux fiducies réside dans l’aspect juridique d’une fiducie qui est en soi une entité à part entière. « Une fiducie ne décède pas, elle n’a pas d’impôt à payer sur la valeur marchande des actions détenues dans la ferme au décès du producteur », souligne Mme Caron-Morin. En reprenant l’exemple d’une entreprise agricole ayant une valeur de cinq millions de dollars, si le producteur détient les actions de son entreprise agricole personnellement, à son décès, il sera présumé avoir vendu les actions de sa ferme pour un prix de vente de cinq millions de dollars. Si certaines conditions sont remplies, il pourra bénéficier de son exonération du gain en capital d’un million de dollars, mais le solde demeurera imposable. Cet impôt déclenché au décès du producteur peut être évité si les actions de l’entreprise agricole sont détenues par une fiducie familiale puisque, la fiducie étant une personne à part entière, elle survit au décès du producteur agricole.
Un autre argument peut s’ajouter en faveur d’une fiducie. Dans le cas d’une entreprise ayant trop d’argent, elle pourrait verser les liquidités excédentaires à la fiducie, laquelle les attribuerait à un bénéficiaire qui est une société par actions, ce qui permettrait de mettre ces liquidités excédentaires à l’abri des créanciers généralement de façon libre d’impôt. « Les entreprises agricoles ont souvent beaucoup de valeur en actifs immobilisés, mais peu de liquidités, c’est pourquoi cet élément est rarement mis de l’avant comme étant un avantage pour la création d’une fiducie. »
Dernier élément à considérer, la fiducie peut s’avérer un moyen fiscal efficace dans le cas d’un transfert non apparenté, ou si le transfert se fait au sein de la famille élargie, à l’exception des enfants.
Mme Caron-Morin ne recommanderait toutefois pas d’y recourir si le transfert familial se fait à un prix d’ami entre les cédants et la relève apparentée. Même chose si la valeur de la ferme est de moins d’un million à 1,5 million de dollars. Dans ces cas-là, l’avantage fiscal ne peut être invoqué, surtout qu’il faut considérer les frais de gestion d’une fiducie.
Les éléments à considérer
Au moment de la création de la fiducie, l’acte de fiducie pourra entre autres désigner un fiduciaire-remplaçant en cas de décès, d’inaptitude, de démission ou de destitution d’un fiduciaire et la façon dont l’argent et les biens de la fiducie seront distribués aux bénéficiaires. Puisqu’il n’y a pas de limite au nombre de bénéficiaires, il vaut mieux présenter une liste trop fournie que pas assez, fait valoir l’avocate, étant donné que l’acte donne seulement le droit aux bénéficiaires et non l’obligation de recevoir de l’argent ou des biens de la fiducie. Il est également possible de désigner une société par actions comme bénéficiaire. Pour des petits-enfants, un âge peut être ajouté pour désigner le moment où ils pourront commencer à recevoir de l’argent ou des biens de la fiducie.
Légalement, une fiducie a une durée de vie de cent ans, mais d’un point de vue fiscal, elle est présumée disposer de tous ses biens à chaque vingt et un ans. Il est possible de poursuivre ses activités, fait valoir Mme Caron-Morin, mais il est important de reconsulter un fiscaliste pour amoindrir les impacts avant son échéance. Il est aussi recommandé de revoir son utilité si la ferme est vendue et si toutes les actions détenues par la fiducie ont été vendues. Au moment de cesser les activités de la fiducie, mieux vaut consulter son conseiller pour fermer les livres adéquatement pour éviter des conséquences fiscales indésirables, autant pour les juridictions fédérales que provinciales.
Naturellement, les règles concernant les fiducies diffèrent selon les provinces. Il est donc important de s’informer de cet aspect.
Et comme mentionné au tout début, même si les fiducies ont tendance à être davantage prises en considération, il ne faut pas oublier qu’elles ne sont qu’un des outils disponibles parmi d’autres pour les entreprises agricoles.
* Étant donné que les concepts juridiques peuvent différer d’une province à l’autre, il est fortement recommandé de demander conseil auprès d’un avocat, d’un notaire, d’un comptable ou d’un fiscaliste afin de mettre en place une structure qui correspond le mieux à votre situation.
Article par : Céline Normandin
La diversification, la pensée innovatrice, d’excellents partenariats et un solide travail d’équipe aident la famille Regehr à atteindre des objectifs ambitieux.