Quand le transfert d’entreprise ne se passe pas comme prévu
Cette étude de cas fictive créée par BDO Canada montre comment l’absence d’un plan de transfert peut plonger une ferme familiale dans la tourmente lorsqu'une situation imprévue arrive.
Partie I : Tout est arrivé si vite...
Tom envisageait d’un bon œil la récolte à venir. L’équipement était prêt, les cultures semblaient excellentes, et l’aide de son fils Sylvain réduisait de beaucoup la pression.
Comme de nombreux jeunes hommes ayant grandi dans une ferme, Sylvain avait profité des occasions d’emploi avantageuses offertes dans le secteur pétrolier. L’exploitation céréalière l’avait toujours intéressé, et il caressait le projet de constituer un troupeau vache-veau lorsqu’il se lancerait en agriculture. Toutefois, l’année sabbatique au cours de laquelle il allait accumuler un joli pécule dans le secteur pétrolier aura duré cinq ans. Âgé de 29 ans, Sylvain était maintenant revenu à la ferme depuis deux ans, contraint par le déclin de l’emploi dans le secteur pétrolier.
Tout allait bien. Après ces cinq années, père et fils étaient ravis d’avoir l’occasion de travailler ensemble et d’apporter quelques améliorations à la ferme. Tom était âgé de 60 ans, et le moment était venu de déterminer quelles étaient les intentions de Sylvain et de planifier leur avenir à tous les deux.
La vie en a décidé autrement.
Environ une semaine avant la récolte, Tom a été terrassé par une grave crise cardiaque. Il y avait des antécédents de maladie cardiaque dans sa famille, mais Tom prenait soin de sa santé et rien n’avait jamais laissé présager le moindre problème. Conduit à l’hôpital en ambulance, il est décédé peu de temps après son arrivée.
La semaine suivante s’est déroulée dans le flou, mais il fallait effectuer la récolte, et Sylvain s’est attelé à la tâche avec ardeur. Les offres d’aide ont afflué, et le travail a été accompli. Toutefois, après la récolte, la réalité l’a rattrapé.
Il n'y avait aucun plan de transfert
Pas même une ébauche. Sylvain avait un frère aîné, Carl, qui vivait en ville. Il n’était pas agriculteur et leur relation était peu chaleureuse. Leur mère, Hélène, avait déjà manifesté son désir de s’installer en ville; être seule à la ferme la chagrinait profondément.
La femme de Sylvain, Karine, avait un bon emploi en ville et n’était pas certaine de vouloir déménager à la ferme. Tout le monde était dépassé par les événements.
Le retour éventuel de Sylvain à la ferme avait été abordé maintes fois, mais personne n’avait discuté de ce qu’il adviendrait si Tom décédait. Sylvain était affligé. Il en savait très peu sur les finances de la ferme, et il s’est avéré que le testament de Tom datait d’une quinzaine d’années. Qui plus est, l’avocat qui l’avait rédigé n’était plus dans les affaires depuis longtemps. Apparemment, Tom était un homme réservé.
Sylvain était conscient qu’il devait trouver un moyen de régler la succession. Il avait un bon comptable, connaissait le banquier et avait déniché un avocat réputé spécialisé en agriculture. Après avoir rencontré les trois professionnels, Sylvain a entrepris la lourde tâche de faire le tri des classeurs et du bureau de son père. Il s’est vite rendu compte que celui-ci avait conservé tout son courrier et le moindre bout de papier au cours de sa carrière d’agriculteur de 40 ans. Mais ni cette paperasserie ni les tiroirs des classeurs ne renfermaient le mot de passe de l’ordinateur de Tom.
Avez-vous tous les détails en main?
Depuis le décès de son mari, Maggie Van Camp encourage les autres à mettre de l’ordre dans leurs plans agricoles et personnels.
Lire son histoireAu fil des jours passés à parcourir les dossiers de la ferme, une réalité financière stupéfiante s’est dévoilée peu à peu : Tom spéculait sur des investissements à l’extérieur de la ferme, notamment sur les marchés du coton, de l’or, du pétrole et des devises étrangères. Des pertes considérables l’avaient forcé à contracter une marge de crédit personnelle de plus en plus élevée auprès d’une autre banque.
Sylvain a aussi découvert un dossier intitulé « Prêt à Carl », qui contenait des copies de chèques annulés – de montants importants – à l’ordre de son frère Carl. La série de chèques commençait il y a douze ans et se terminait brusquement sept ans plus tard. Cette découverte expliquait beaucoup de choses : les rares apparitions de Carl aux réunions de famille ces dernières années, un échec commercial et des relations tendues avec son père. Mais elle soulevait aussi de nombreuses questions : Hélène était-elle au courant? Ce prêt avait-il été remboursé, ne serait-ce qu’en partie?
Sylvain a fini par venir à bout de la liste de tâches assignée par le comptable, le banquier et l’avocat. Entre autres, il avait fait évaluer la terre et l’équipement, répertorié toutes les dettes, procédé aux demandes de règlement au titre de l’assurance-vie et fait faire la comptabilité de l’exercice.
Les priorités de Sylvain étaient de s’occuper de sa mère et de l’aider à surmonter son deuil. Des discussions difficiles l’attendaient aussi avec son frère. Sylvain était prêt à prendre la relève de la ferme, et sa situation financière n’était pas inquiétante. Toutefois, étant donné la marge de crédit personnelle non remboursée de Tom, un prêt hypothécaire élevé qui n’était pas protégé par l’assurance-vie, les investissements douteux de Tom à l’extérieur de la ferme et la somme importante prêtée à Carl au fil des ans, Hélène était peu rassurée sur le plan financier. Cette situation mettait Sylvain en colère.
Pourquoi son père ne lui avait-il jamais rien dit? Et pourquoi lui-même n’avait-il pas posé plus de questions?
L’impôt sur le revenu à payer à la fin avril, un plan de culture à mettre en place pour la prochaine saison, une mère atterrée à réconforter, un frère qui n’offrait aucune aide et un avenir personnel incertain : Sylvain connaissait des débuts difficiles comme agriculteur à temps plein.
Après tout ce travail et tout ce stress, il restait à la famille à élaborer un véritable plan de relève, sans quoi tout serait simplement transféré à Hélène. Si seulement ils avaient commencé à en discuter plus tôt…
Partie II : Il fallait un nouveau plan!
Le testament de Tom, qui datait d’une quinzaine d’années, était plus que désuet. Conformément aux volontés du défunt, tout a été légué à Hélène. Comme celle-ci ne désirait pas vivre toute seule à la ferme, surtout durant l’hiver, Sylvain et son épouse Karine lui ont trouvé une maison en location près de chez eux, en ville.
À la stupeur générale, il s’est avéré que Tom avait contracté une marge de crédit personnelle pour couvrir des pertes liées à des investissements en dehors de la ferme. Le solde s’établissait à plus de 100 000 $. Il y avait aussi un prêt hypothécaire non remboursé de 800 000 $ pour l’achat le plus récent d’une terre, ainsi que des paiements mensuels à faire sur certains gros équipements. Enfin, Tom avait investi de l’argent dans des REER, mais certainement pas assez pour subvenir aux besoins d’Hélène pendant très longtemps.
Carl s’est empressé de réclamer une compensation financière si Sylvain venait à prendre la relève de la ferme. Sylvain s’est rendu compte qu’au fil des ans, Tom avait prêté près de 150 000 $ à Carl et il n’y avait aucune trace du moindre remboursement.
Au bout de nombreuses rencontres avec leur comptable et leur avocat, et au terme de longues discussions entre Sylvain, Karine et Hélène, un plan a commencé à prendre forme.
La société d'exploitation agricole
La ferme était constituée en personne morale, mais la société ne détenait aucune terre. Les actifs de base étaient l’équipement et les véhicules. Le plan prévoyait que Sylvain acquerrait immédiatement les participations d’Hélène dans la société, ce qui lui permettrait de prendre toutes les décisions concernant les activités quotidiennes tout en libérant sa mère de ces obligations. Hélène savait que Carl était incapable de rembourser ses prêts, alors par souci d’équité envers Sylvain, elle a insisté pour qu’il obtienne des participations d’une valeur égale à celle du « cadeau » à Carl.
La terre
La terre agricole a été évaluée et mise au nom d’Hélène. Sylvain prendrait à sa charge l’hypothèque de 800 000 $ pour l’achat récent d’une terre.
Sylvain et Karine achèteraient la ferme familiale à Hélène à la valeur estimative, et prendraient aussi à leur charge l’hypothèque connexe, ce qui permettrait à Hélène de rembourser la marge de crédit de Tom.
Sylvain et Karine ont aussi dû prendre la décision difficile de mettre en vente leur maison en ville. Le produit de la vente servirait à rembourser une partie de la dette récente liée à l’achat de la ferme.
À court terme, Hélène demeurerait propriétaire du reste de la terre et la louerait à la société d’exploitation agricole, ce qui lui procurerait des flux de trésorerie réguliers pour assurer sa subsistance.
Actualisation des testaments et entente avec Carl
En vertu du plan, Sylvain et Karine achèteraient d’autres terres à Hélène au fil du temps. Tous trois ont convenu que ces prochains achats seraient fondés sur la valeur des terres au moment du décès de Tom et qu’Hélène détiendrait toute nouvelle hypothèque et offrirait des modalités de remboursement équitables. Les conséquences du décès soudain de Tom ont incité Hélène, Sylvain et Karine à actualiser leur testament.
Le nouveau testament d’Hélène stipulait qu’à son décès, Carl toucherait un héritage en argent et Sylvain hériterait des actifs agricoles restants. Le moment venu, il reviendrait à Sylvain de décider de la meilleure façon de verser le paiement à Carl.
Les répercussions sur les gens
Âgée de seulement 60 ans, Hélène est confrontée à un avenir incertain et angoissant. Comme de nombreux agriculteurs, Hélène possède plusieurs actifs, mais peu de liquidités. Elle a envisagé de tout liquider, mais il lui tenait à cœur de réaliser le rêve de Tom de voir Sylvain prendre la relève de la ferme familiale.
Sylvain et Karine ont vécu des moments difficiles pendant la transition. Karine avait toujours su que Sylvain rêvait de diriger la ferme un jour, mais le décès de Tom les a acculés au pied du mur et a bouleversé leur univers. Ce changement avait d’énormes répercussions sur la carrière de Karine, son mode de vie, sa sécurité financière ainsi que sur l’avenir familial.
Carl était l’élément imprévisible et Sylvain savait en son for intérieur qu’il y aurait des embûches. Il aurait espéré discuter de vive voix avec son frère, mais celui-ci ne communiquait que par l’intermédiaire de son avocat. Mauvais signe.
Tom était un homme bon qui a travaillé d’arrache-pied pour bâtir une ferme viable pour son fils et un plan aurait été le plus beau cadeau à offrir à sa famille. Le fardeau émotionnel et financier, qui aurait pu être évité en préparant l’épouse et les fils à la réalité, pèsera lourd pendant des années. À maints égards, cette histoire illustre la MAUVAISE façon de planifier le transfert de l’exploitation.
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