S’adapter au changement : l’évolution de la situation économique du secteur de la volaille à l’ère de la grippe aviaire
Le secteur de la volaille a accompli un travail remarquable pour relever les défis posés par les éclosions d’influenza aviaire ces dernières années. Même si le virus reste présent, le secteur peut, espérons-le, limiter le temps et les efforts consacrés à freiner la propagation de la maladie pour plutôt concentrer tous ses efforts sur la production afin de répondre à la demande croissante de poulet, d’œufs et de dinde. Nous abordons ci-dessous les aspects particuliers de chacun de ces trois sous-secteurs.
La baisse de prix des poulets à griller est attribuable à la diminution du coût des aliments pour animaux
Le prix des poulets à griller a atteint un sommet en 2023 et recule lentement depuis. Nous prévoyons que cette baisse se poursuivra au cours de la deuxième moitié de 2024 avant de se stabiliser au printemps 2025 (figure 1).
Figure 1 : Les prix du poulet à griller, observés et prévus
La baisse des prix à la ferme reflète la diminution du coût des aliments pour animaux. En Ontario, le coût des aliments pour animaux entrant dans le calcul du prix vif minimum à la ferme a atteint plus de 1,00 $/kg au cours de l’été 2022, mais a commencé à diminuer dans la deuxième moitié de 2023, parallèlement à la baisse du prix des céréales et des oléagineux. Le prix des aliments pour animaux a cédé 22 % par rapport au pic atteint au cours de l’exercice contingentaire A-180 (de décembre 2022 à février 2023). Toutefois, le coût des poussins a augmenté de façon constante au cours des deux dernières années et demie, en partie à cause de la pénurie d’approvisionnement causée par la grippe aviaire (figure 2).
Figure 2 : Coûts des aliments pour animaux et des poussins de l’Ontario par exercice contingentaire
Croissance de la production de poulets à griller dans un contexte de stocks et d’importations élevés
Compte tenu des défis posés par la grippe aviaire, la production totale de poulets à griller en 2023 a été étonnamment forte (croissance de 3,3 %). En 2024, l’USDA prévoit que la croissance de la production ralentira pour s’établir à 1,7 %. Si cette prévision se réalise, il s’agirait du taux de croissance le plus faible depuis 2014 (si l’on exclut 2020 et le début de la pandémie).
Selon le rapport annuel 2023 de Chicken Farmers of Ontario, les stocks de produits congelés, qui ont atteint un niveau record, ont donné lieu à des attributions prudentes [de contingents] pour les quatre premiers mois de 2024. Vu une production plus faible au début de l’année, la demande a été satisfaite par des retraits à même les stocks de poulets, qui ont donc fléchi de 16 % de janvier à juillet (figure 3). Au début de 2024, les stocks de poulets congelés étaient élevés d’un point de vue historique. Généralement, ils s’amenuisent au printemps et en été, bien que l’été dernier, l’inverse se soit produit et que les niveaux aient monté en flèche. Le retour des stocks congelés à des niveaux plus près de la normale est de bon augure pour la production dans la deuxième moitié de l’année et jusqu’en 2025.
Figure 3 : Les stocks de poulet congelé ont baissé de 16 % depuis janvier
L’incertitude concernant les volumes d’importation revêt une grande importance. Divers accords commerciaux permettent d’importer un certain volume de poulets en franchise de droits (c’est-à-dire la limite négociée), même si, en réalité, ces importations n’ont pas toujours lieu. Par exemple, dans le cadre du Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) en 2023, seulement 40 % de la limite négociée a effectivement été importée. Or, jusqu’à présent en 2024, les importations ont représenté 45 % de la limite négociée, alors qu’il reste encore la moitié de l’année (figure 4). La hausse des importations dans le cadre du PTPGP est en grande partie attribuable aux importations en provenance du Chili, qui a adhéré à l’accord en février 2023. Les données commerciales montrent que le Chili est désormais la troisième source de poulet importé, derrière les États-Unis et le Brésil.
Figure 4 : Importations de poulet et de produits de poulet dans le cadre du PTPGP, de 2020 à 2024
Les limites négociées pour les importations de poulet sont maintenant réellement plafonnées. Comme le montre la figure 4, la limite négociée a augmenté de 3,9 millions de kg chaque année depuis l’entrée en vigueur du PTPGP, mais en 2024, la hausse n’était toutefois que de 0,2 million de kg, la période de mise en œuvre accélérée ayant pris fin. Les augmentations négociées des limites seront plafonnées à 1 % (environ 0,2 million de kg) pour chacune des douze prochaines années. Il convient de noter qu’en 2023, les importations de poulet réalisées dans le cadre du PTPGP représentaient environ 0,7 % de la production totale de l’année.
La demande globale de poulet est en progression jusqu’à présent en 2024, mais demeure inférieure au potentiel. Le resserrement du budget des ménages a limité les achats de poulet par rapport aux préférences des consommateurs. En juin, pour le premier mois depuis 2022, la hausse du prix du poulet a été inférieure à celle des prix du bœuf et du porc. Si cette tendance se poursuit, elle soutiendra davantage la demande.
La production d’œufs atteint un nouveau record
Le prix des œufs à la ferme a monté en février et devrait rester stable au deuxième semestre de 2024. La production d’œufs a rebondi après avoir diminué en 2023 sous l’effet de l’épidémie de grippe aviaire : entre juin 2023 et mai 2024, 903 millions de douzaines d’œufs ont été produites, soit le plus grand nombre jamais enregistré sur douze mois (figure 5). Les coûts de production totaux ont connu une légère baisse jusqu’ici en 2024, mais restent à des niveaux historiquement élevés.
Figure 5 : La production d’œufs revient sur la bonne voie et atteint des sommets inégalés
Les États-Unis ont pleinement profité de l’accès supplémentaire en franchise de droits pour les œufs et les produits dérivés d’œufs (coquilles d’œufs, poudre d’œuf, etc.) depuis l’entrée en vigueur de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM). La quantité négociée d’œufs et de produits dérivés d’œufs autorisés à entrer dans le pays a été atteinte chaque année. En effet, nous ne sommes qu’à la moitié de l’année 2024, et la limite négociée a déjà été atteinte. En d’autres termes, il n’y aura plus d’importations en franchise de droits d’œufs et de produits dérivés d’œufs en provenance des États‑Unis et du Mexique pour le reste de 2024.
Stocks de dindons : la production augmente, mais la demande aussi
Les stocks de dindons atteignent traditionnellement leur sommet en septembre, en vue de la période des Fêtes en Amérique du Nord, avant de retomber à leur niveau le plus bas en janvier. Jusqu’à présent, en 2024, les stocks de dindons congelés tendent à se rapprocher des maximums mensuels observés au cours des cinq dernières années (figure 6).
Figure 6 : Les stocks de dindons congelés se rapprochent de leur récent sommet historique
À première vue, cela peut sembler quelque peu surprenant, étant donné que la production de dindons a diminué chaque année entre 2016 et 2022 (passant de 183 000 à 150 000 tonnes métriques). L’évolution des préférences des consommateurs a entraîné une baisse de la demande de produits de dindon au cours des dernières années. Toutefois, en 2023, la production de dindons a progressé (6,1 %) pour la première année depuis 2016. La demande a joué un rôle à cet égard : en 2023, la consommation de dinde par habitant a augmenté pour la première fois en près d’une décennie.
Comme pour le prix des poulets à griller, celui des dindons à la ferme a monté entre 2021 et le début de 2023, avant de fléchir légèrement dans la deuxième moitié de 2023. Les prix ont encore reculé au début de 2024 et devraient être légèrement inférieurs dans la deuxième moitié de 2024, avant de se stabiliser dans le premier semestre de 2025.
En conclusion
La baisse du prix des céréales et des oléagineux a offert un répit bienvenu aux éleveurs, y compris ceux du secteur de la volaille. La croissance de la production de poulets à griller pourrait être plus faible cette année, mais les marges par unité des producteurs restent saines : à partir de l’exercice contingentaire A-187, la marge entrant dans le calcul du prix à la ferme a été actualisée pour refléter l’augmentation des frais de main-d’œuvre, des dépenses en immobilisations et des charges d’exploitation. La production d’œufs atteint des sommets jamais vus, tandis que la production de dindons pourrait être en train de remonter la pente après une période de déclin de la demande et de la production. La baisse de l’inflation alimentaire devrait soutenir la demande de produits de volaille, et les fondamentaux à long terme du secteur sont solides.
Économiste principal
Graeme Crosbie est économiste principal à FAC. Ses domaines d’intérêt portent notamment sur l’analyse et les perspectives macroéconomiques et sur l’analyse et la surveillance de l’industrie agroalimentaire canadienne. Ayant grandi sur une ferme laitière dans le sud de la Saskatchewan, il formule à l’occasion des observations sur la santé de l’industrie laitière du Canada.
Graeme est employé à FAC depuis 2013 et a consacré la plus grande partie de ces années à la gestion du risque. Il détient une maîtrise en gestion avec spécialisation en économie financière de l’Université de Cardiff ainsi que le titre d’analyste financier agréé (CFA).