La COVID-19 a-t-elle perturbé le cours du commerce des produits agricoles et agroalimentaires du Canada?
Les répercussions économiques de la pandémie de COVID-19 se font sentir dans tous les secteurs de l’économie. Pour le commerce de produits agricoles et agroalimentaires, les effets à long terme pourraient être considérables puisque la pandémie de COVID-19 a mis en lumière la fragilité des approvisionnements d’aliments qui dépendent des importations. En réaction à cette situation, de nombreux pays développent leurs industries agricoles et alimentaires de façon à devenir plus autosuffisants.
Des données récentes de Statistique Canada nous donnent un aperçu des répercussions de la COVID-19, lesquelles pourraient indiquer des changements permanents à la structure des échanges commerciaux. Nous avons examiné les événements récents et les tendances actuelles pour certains produits agricoles et agroalimentaires et nous présentons ci-dessous les répercussions de la COVID-19 en avril 2020.
Le Canada est devenu un exportateur net de produits alimentaires enl 2019
La pandémie de COVID-19 a soulevé des problèmes d’autosuffisance alimentaire au Canada. Curieusement, le Canada présente maintenant un excédent commercial pour les produits alimentaires. Mais cela ne veut pas dire que le Canada est autosuffisant étant donné que les paniers d’aliments produits et d’aliments consommés sont différents et que le Canada dépend de l’importation pour de nombreux produits alimentaires.
En 2016, le Canada a enregistré un déficit commercial alimentaire de plus de 2,8 milliards de dollars. Ce déficit a été réduit en 2017 et en 2018, avant d’être renversé en 2019, année qui a vu un excédent commercial de 100 millions de dollars. Pour le premier trimestre de 2020, le Canada a affiché un surplus commercial de produits alimentaires de 578 millions de dollars, lequel est partiellement attribuable à la saisonnalité puisque la balance commerciale est généralement positive en hiver. De mars à avril, les exportations de produits alimentaires ont baissé de 550 millions de dollars alors que les importations ont diminué de seulement 184 millions de dollars, ce qui a ramené la balance commerciale en territoire négatif. La pandémie de COVID-19 pourrait effacer notre position d’exportateur net de produits alimentaires en 2020 si la tendance du mois d’avril se poursuit.
Figure 1 : Balance commerciale mensuelle des produits alimentaires du Canada
Les exportations de porc affichent une hausse
Depuis le début de la pandémie de COVID-19, l’éclosion de peste porcine africaine en Chine a pris moins d’importance dans l’actualité. La production de porc demeure cependant considérablement affaiblie, ce qui maintient les prix du porc élevés dans ce pays. Pendant la majeure partie de 2019, cette pénurie de porc en Chine n’a pas profité aux exportateurs canadiens de porc en raison de l’interdiction d’importation de porc canadien imposée par la Chine.
Les exportations de porc vers la Chine ont repris en novembre 2019. Au premier trimestre de 2020, les exportations vers la Chine ont donné lieu à une augmentation mensuelle des exportations totales de porc canadien de plus de 70 millions de dollars comparativement au premier trimestre de 2019. La COVID-19 n’a pas ralenti les exportations de porc vers la Chinel : en avril, elles ont affiché une hausse de 61 millions de dollars par rapport à la même période l’an dernier.
Figure 2 : Exportations mensuelles totales de porc canadien
Les exportations de canola connaissent deux solides mois
En mars 2019, la Chine a suspendu les permis des entreprises canadiennes qui exportent du canola en Chine. Cette perte d’accès au marché chinois a été un revers majeur pour l’industrie du canola puisque la Chine représentait 40 % des exportations de graines de canola du Canada en 2018. Les exportateurs canadiens ont toutefois réussi à trouver de nouveaux acheteurs. Néanmoins, les exportations de graines de canola ont baissé de 1,55 milliard de dollars en 2018 par rapport à 2019.
Même si les licences de deux importantes entreprises qui exportaient du canola en Chine sont toujours suspendues, les exportations vers la Chine se sont redressées. En mars 2020, les exportations totales de canola ont atteint environ 650 millions de dollars, soit un montant qui n’avait pas été observé depuis plus d’un an et demi. En avril, les exportations sont restées solides, se chiffrant à 590 millions de dollars malgré le ralentissement des activités portuaires en raison de la COVID-19.
Figure 3 : Exportations mensuelles totales de canola canadien
Les importations de fromage demeurent stables en avril
L’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG) est en vigueur depuis 2017. Cet accord a accru l’accès des produits laitiers européens au marché canadien. Le quota d’importation du fromage, entre autres, passera à 16 millions de kilogrammes en 2022.
Depuis l’adoption de l’AECG, les importations de fromages ont augmenté régulièrement et ont été particulièrement fortes dans la seconde moitié de l’année. Et même si elles étaient plutôt faibles en début d’année, elles se sont raffermies en mars et en avril. Les importations de fromage étaient élevées en avril malgré la baisse de la demande de fromage au Canada en raison de la fermeture des services alimentaires. Les importantes quantités importées peuvent s’expliquer soit par l’exécution de commandes d’achat passées plus tôt, soit par le fait que la COVID-19 n’a pas eu d’incidence sur la demande des types de fromage importés.
Figure 4 : Importations mensuelles totales de fromage au Canada
Les marchés traditionnels pourraient être appelés à disparaître
Parallèlement au différend commercial entre les États-Unis et la Chine, les pressions croissantes en faveur de l’autosuffisance vont modifier la conjoncture commerciale mondiale. Nous verrons probablement d’autres perturbations commerciales liées à la COVID-19. La principale préoccupation à long terme est que certains pays qui étaient traditionnellement acheteurs ou vendeurs d’un produit pourraient changer considérablement. La diversification des marchés au pays et à l’étranger devient primordiale afin de réduire le risque de la disparition des marchés.
Article par : Sébastien Pouliot, Économiste supérieur