L’agriculture dans un climat changeant
Au cœur de l’industrie agricole, on trouve des cafés où les agriculteurs se rassemblent pour discuter. Il semble exister une règle non écrite qui consiste à commencer chaque rencontre en parlant de la météo. Il y a bien sûr une raison à cela : les conditions météorologiques, parmi tous les autres facteurs, jouent un rôle important dans la réussite de l’industrie agricole, sans oublier que l’agriculture au Canada est sensible aux changements climatiques. La planète se réchauffe, et de nombreux experts s’entendent pour dire que les événements météorologiques extrêmes vont se multiplier et que les températures vont continuer de grimper. Le modèle Aquanomics de GHD, entreprise d’envergure mondiale qui fournit des services en ingénierie et en architecture, prévoit que les sécheresses, les inondations et les tempêtes entraîneront une perte de 108 milliards de dollars pour le PIB du Canada entre 2022 et 2025. Les inondations pourraient à elles seules coûter 30 milliards de dollars à l’économie d’ici 2050. Selon le modèle, le secteur de la fabrication et de la distribution sera le plus durement touché, avec des pertes de production totalisant 50 milliards de dollars, tandis que l’agriculture, qui occupe le 5e rang de la liste, pourrait enregistrer des pertes de production de 3 milliards de dollars d’ici 2050. Peu importe l’impact économique, l’industrie agricole pourrait subir certains changements, ce qui n’a rien de surprenant.
Incidence sur la production
Les répercussions sur l’industrie agricole pourraient être nombreuses et apporter leur lot de défis, mais tout de même présenter certaines occasions. On prévoit que les pays de hautes latitudes, comme le Canada, connaîtront un réchauffement plus important que la moyenne mondiale. Cela s’explique en partie par le fait que les régions les plus au sud n’ont déjà plus de glace. Le sol réfléchit moins que la glace. La fonte des glaces dans les régions septentrionales entraînera donc des changements plus importants. Le tableau qui suit présente quelques-unes des répercussions possibles.
Tableau 1 : Défis et occasions dans un contexte de changements climatiques
Répercussions financières pour les agriculteurs
Les changements climatiques ayant une incidence sur la saison de croissance, les finances des producteurs peuvent aussi en ressentir les effets de différentes façons, comme il est indiqué ci-dessous.
Prix des produits de base
Les prix sont sensibles aux variations de l’offre. Une augmentation ou une diminution des surfaces de culture propices pour certaines variétés pourrait avoir une incidence sur l’offre. La hausse des pertes attribuable à la fréquence des tempêtes pourrait également être importante.
Valeur des terres
Dans un récent article, nos économistes ont indiqué que le ratio du fonds de roulement peut avoir un impact sur la valeur des terres agricoles. Si, dans certaines régions, les conditions météorologiques ont un effet à la hausse ou à la baisse pendant de longues périodes sur la rentabilité, le ratio du fonds de roulement sera aussi touché, tout comme la valeur des terres.
Une humidité stable a un impact évident immédiat lorsque l’on examine la valeur des terres cultivées dans notre Rapport Valeur des terres agricoles. La valeur moyenne des terres irriguées dans le sud de l’Alberta s’établit à 16 600 $ l’acre, tandis que la valeur moyenne des terres sèches dans la même région est de 5 000 $ l’acre. Dans les régions du Centre-Ouest et du Sud-Ouest de la Saskatchewan, un acre de terre irriguée vaut en moyenne 6 500 $. Un acre de terre sèche vaut en moyenne 2 500 $ et 2 900 $ respectivement dans le Centre-Ouest et dans le Sud-Ouest de la Saskatchewan. Les terres qui peuvent être irriguées se vendent environ deux à trois fois plus cher que les terres sèches, ce qui prouve que la stabilité de l’humidité est recherchée. Il n’est pas exagéré de penser qu’un changement dans les cycles de chutes de pluie puisse avoir une incidence sur les valeurs futures des terres. Bien sûr, l’eau n’est pas le seul facteur qui influence la valeur des terres agricoles, mais elle fait certainement partie de l’équation.
Primes d’assurance
La fréquence des tempêtes violentes, des dommages causés par les organismes nuisibles, des sécheresses et des inondations devrait augmenter avec la hausse des températures moyennes. L’incidence de la volatilité des conditions météorologiques est déjà perceptible dans le secteur de l’assurance. De nombreux producteurs souscrivent des assurances couvrant 80 % des cultures de grande valeur et les indemnités augmentent. Certaines tendances ressortent de l’examen du tableau qui suit. Les cinq premières années montrent que les montants des primes et des indemnités sont presque égaux, tandis que, pour les cinq dernières années, on constate que les indemnités sont nettement supérieures aux primes. Les primes ont commencé à augmenter, mais elles sont encore inférieures aux indemnités. La hausse des primes et des indemnités est attribuable en partie à l’inflation. Les primes et les indemnités ont été comparées aux dépenses, qui ont également subi l’effet de l’inflation. Le résultat observé est similaire. Les primes ont continué de représenter près de 2 % des dépenses, tandis que les indemnités versées au cours des cinq dernières années ont augmenté et ont représenté plus de 5 % des dépenses au cours des trois dernières années. Tout comme c’est le cas pour la valeur des terres, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte, notamment les prix et le niveau de la protection. La fréquence des événements météorologiques n’est pas la seule variable, mais si ces tendances se maintiennent, les primes risquent d’augmenter.
Tableau 2 : Paiements et primes au titre de l’assurance récolte (en milliards)
Année | Primes – assurance récolte et contre la grêle | Indemnités – assurance récolte et contre la grêle | Dépenses des exploitations agricoles | Primes – en pourcentage des dépenses | Indemnités – en pourcentage des dépenses |
---|---|---|---|---|---|
2014 | 0,98 | 0,78 | 44,6 | 2,2 % | 1,7 % |
2015 | 0,93 | 1,10 | 46,0 | 2,0 % | 2,3 % |
2016 | 1,02 | 1,02 | 46,6 | 2,2 % | 2,2 % |
2017 | 1,02 | 1,23 | 48,3 | 2,1 % | 2,5 % |
2018 | 0,95 | 0,89 | 51,2 | 1,8 % | 1,7 % |
2019 | 0,95 | 1,41 | 54,5 | 1,7 % | 2,6 % |
2020 | 1,00 | 1,7 | 55,9 | 1,8 % | 3,0 % |
2021 | 1,11 | 3,75 | 61,2 | 1,8 % | 6,1 % |
2022 | 1,53 | 4,9 | 73,1 | 2,1 % | 6,7 % |
2023 | 1,70 | 3,88 | 74,9 | 2,2 % | 5,2 % |
Occasions
Quels que soient les défis ou les occasions qui se présentent, une ouverture au changement pourrait être déterminante. Peu importe si les producteurs des régions du nord sont en mesure d’accroître la rotation des cultures ou que ceux des régions du sud sont capables d’accroître leur production avec moins d’eau, les producteurs les plus performants seront ceux qui sauront s’adapter et adopter de nouvelles pratiques agricoles. Je ne vois pas de groupe plus apte à relever le défi. Les producteurs canadiens ont fait leurs preuves en tant que gardiens des terres. Nombre d’entre eux ont déjà mis en œuvre des plans de gestion pour réduire le risque financier. Les pratiques visant à améliorer la santé des sols et à réduire les émissions sont maintenant courantes. L’industrie agricole canadienne sait faire preuve d’ingéniosité depuis bien longtemps. Cela nous donne la certitude qu’avec le soutien de partenaires de l’industrie, comme FAC et le gouvernement canadien, nous sommes bien placés pour relever les défis à l’avenir et tirer parti des occasions qui se présentent.
Article par : Kurri Carlson, Analyste, Veille stratégique