Exploiter le plein potentiel d’une culture créneau
Lorsque Bob et Mary Jane Davis ont semé leurs premiers poireaux, en 1988, ils ignoraient où ces « oignons verts gonflés aux stéroïdes » les mèneraient.
Plus de 30 ans plus tard, au cours d’une journée occupée, leur usine de transformation, Canning Produce, à Paris, en Ontario, transforme presque quatre fois plus de poireaux qu’ils produisaient la première année. Les Davis sont maintenant les plus grands producteurs de poireaux de l’Ontario avec une superficie annuelle de 80 acres qui leur permet d’approvisionner trois grandes chaînes d’épicerie de la fin juillet au mois de mars.
Des stratégies mûrement réfléchies
C’est une approche stratégique et mesurée qui a permis à la famille Davis de servir un créneau occupé par un légume unique qui fait l’objet d’une demande de marché assez stable. Tout au long de leur parcours, Bob et Mary Jane ont fait appel à leur famille entière, et la réussite de leur entreprise de culture, d’emballage et de commercialisation du légume apparenté à l’oignon repose sur leur passion pour les chiffres, l’innovation, le souci du service à la clientèle et leur engagement envers la qualité.
En 1984, Bob et Mary Jane ont repris la ferme des parents de Bob qui produisaient principalement du maïs sucré et qu’ils ont ensuite achetée en 1998. L’idée de produire des poireaux est venue lorsqu’un producteur local qui prenait sa retraite a offert au couple la possibilité de reprendre un petit contrat de production avec un grossiste de la région. « Au début, nous commencions la récolte des poireaux après celle du maïs sucré, à la fin du mois de septembre. La récolte durait une semaine, et tout était fait à la main », se rappelle Bob. Ils possédaient déjà une chambre froide pour le maïs sucré, de sorte que les poireaux s’intégraient bien à leur exploitation.
« Vous devez savoir ce que vous faites – être au courant des sorties de fonds, des intrants, des coûts prévus et du revenu escompté. Sinon, c’est comme si vous pilotiez les yeux bandés. Aucune entreprise qui avance à tâtons ne reste en affaires très longtemps. »
Les Davis ont vite mis le cap sur la croissance, mais ils avaient peu de marge de manœuvre. Les poireaux étant une culture marginale, ils devaient prendre garde de ne pas inonder le marché ou s’immiscer dans les affaires d’autres producteurs qui approvisionnaient habituellement le marché de gros de la mi-août à la mi-octobre. Une fois les poireaux locaux écoulés sur le marché de détail, les épiceries comptaient sur les approvisionnements provenant des États-Unis et du Mexique jusqu’à la prochaine récolte de poireaux ontariens.
Le couple a déterminé que la meilleure façon de croître était d’éliminer les importations en prolongeant stratégiquement l’offre de poireaux de l’Ontario. C’est ainsi que Bob a eu l’idée de produire deux récoltes. Les Davis ont fait construire une serre pour démarrer les poireaux et produire une récolte hâtive qui débuterait à la mi-juillet. Cela leur permettrait d’approvisionner le marché pendant un mois complet avant que d’autres producteurs locaux aient des poireaux à commercialiser. Une deuxième récolte aurait lieu en octobre, après que les autres producteurs auraient vendu leurs cultures. Les Davis pourraient ainsi approvisionner le marché pendant le reste de l’année civile.
« Les poireaux sont un très petit marché. Nous ne pouvons pas simplement ensemencer 100 acres supplémentaires. Ce n’est pas comme le maïs, explique Bob, nous n’aurions aucun acheteur. Nous nous assurons qu’il y a un marché pour chaque poireau que nous semons. »
Recherche et innovation
L’entreprise a continué à grandir dans les années 1990 à mesure que les Davis remplaçaient de plus en plus de poireaux importés par leurs légumes locaux. Pour augmenter la production, Bob savait qu’il devait miser sur l’automatisation afin d’accroître le rendement de cette culture nécessitant une gestion intensive. En 1990, la ferme a doublé sa production, grâce notamment à une vieille récolteuse d’arachides que Bob a démontée et transformée en récolteuse de poireaux. Le couple a aussi construit sa première chaîne de nettoyage.
Cet engagement envers l’innovation ne s’est jamais démenti en trois décennies; en effet, les Davis vont souvent rendre visite à d’autres producteurs de poireaux en Europe et acquièrent des connaissances sur la culture, la récolte et la transformation. Ils ont toutefois dû relever par eux-mêmes le défi lié à la conservation des poireaux pendant de longues périodes.
« Nous avons beaucoup voyagé en Europe, où se trouve la plus grande partie de la production de poireaux, mais nous n’avons vu personne qui les conservait pendant plus de trois ou quatre semaines. Pour notre part, nous voulions essayer de les conserver pendant trois à quatre mois », relate Bob.
Apprendre l’entreposage frigorifique a comporté de nombreux essais et erreurs, mais les Davis ont persévéré. En 2001, ils ont fait construire une nouvelle installation d’emballage et d’entreposage frigorifique et mis fin à la production de maïs sucré. L’année suivante, la ferme était constituée en société et devenait Canning Produce Inc.
Tout au long de leur parcours, Bob et Mary Jane ont fait preuve de rigueur pour demeurer rentables tout en adoptant une stratégie mesurée et viable pour développer leur entreprise de production de poireaux. « Ce n’est pas comme la production de cultures commerciales, qu’il suffit de semer et de récolter l’automne venu. Les poireaux demandent une attention et des soins quotidiens, de l’étape du semis à celle de la récolte », souligne Bob.
Une culture coûteuse et exigeante en main-d’œuvre
En 2007, Canning Produce s’est tournée vers les travailleurs étrangers pour répondre à ses besoins croissants de main-d’œuvre. Dix travailleurs migrants jamaïcains se joignent maintenant à l’équipe chaque été.
Comme il existe peu d’herbicides, le désherbage est principalement effectué à la main, et ce grand légume insatiable peut nécessiter jusqu’à cinq applications d’engrais. De plus, la forte densité des cultures exige une stratégie de gestion intensive afin d’optimiser tous les intrants, dont le carburant, la machinerie, l’engrais, la main-d’œuvre et les produits de protection des cultures.
« Cette culture est très coûteuse à produire, à entretenir et à surveiller tout au long de l’été, sans compter qu’il faut ensuite l’entreposer à froid. C’est pourquoi nous ne semons aucun poireau que nous ne sommes pas assurés de vendre, explique Bob. Nous sommes bien établis auprès des épiceries à succursales, et nous savons donc à quoi nous attendre avec elles. »
Les épiceries à succursales savent aussi à quoi s’attendre de Canning Produce. « Notre objectif est d’approvisionner le marché canadien pendant la plus grande partie de l’année afin que les consommateurs canadiens puissent avoir accès à des poireaux locaux salubres. »
Très soucieuse du service à la clientèle, Canning Produce honore cette promesse notamment grâce à la certification CanadaGAP®, qui garantit la salubrité et la traçabilité des aliments et couvre toutes les méthodes de production légumière. « Nous détenons la certification CanadaGAP® depuis environ huit ans, et dès le début, nous avons choisi de nous soumettre à un audit chaque année. Nous pourrions le faire seulement une fois tous les quatre ans, mais nous voulons bien contrôler notre production et continuer d’envoyer des produits salubres et de bonne qualité dans les épiceries », explique Bob.
Les plans de transfert de la famille
Les Davis sont aussi fiers du rôle que toute la famille a joué dans le succès de l’exploitation. Mary Jane souligne que son travail change à mesure qu’évolue l’entreprise, en particulier depuis l’arrivée des travailleurs étrangers. « Lorsqu’ils sont arrivés, j’ai cessé d’aller au champ. Maintenant, j’aime bien m’occuper de l’administration. »
Les quatre enfants Davis ont toujours apporté leur contribution à la ferme. Leur parcours de carrière les a emmenés ailleurs, mais chacun continue d’y jouer un rôle. Brad, l’aîné, gère la technologie de l’information dans une grande compagnie d’assurance de Waterloo, en Ontario. « Il nous donne un coup de main chaque fois que nous en avons besoin, en particulier l’automne, en conduisant la récolteuse, et son épouse, Chantal, conduit le camion de livraison à temps partiel », dit Bob.
Stephanie, qui est associée d’un cabinet comptable de Waterloo, est la conseillère financière et la comptable de la ferme. Jeremy, qui est constable spécial de l’unité tactique de la Police provinciale de l’Ontario, à Queen’s Park, vient prêter main-forte chaque fois qu’on a besoin de lui. Corey, le benjamin, a terminé un diplôme universitaire en chimie avant de revenir travailler à la ferme à temps plein en 2012.
Corey est maintenant le directeur de la ferme, et son épouse, Emily, se familiarise avec les procédures administratives. La famille vient d’amorcer un processus de planification de la relève qui permettra à Corey et à Emily, de reprendre l’exploitation au cours des prochaines années.
L’importance de connaître vos coûts – et votre marché
Lorsque d’autres producteurs lui demandent quels sont les secrets de la réussite de Canning Produce, Bob s’empresse de mentionner l’importance d’avoir un sens aigu des affaires. Adepte des tableurs électroniques, il souligne la nécessité de connaître les coûts : « Vous devez savoir ce que vous faites – être au courant des sorties de fonds, des intrants, des coûts prévus et du revenu escompté. Sinon, c’est comme si vous pilotiez les yeux bandés. Aucune entreprise qui avance à tâtons ne reste en affaires très longtemps. »
Il est aussi essentiel de connaître votre marché. C’est grâce à leur compréhension du marché canadien des poireaux, en particulier l’offre et la demande et les besoins des détaillants, que les Davis ont pu adopter une approche mesurée et viable qui leur permet de développer leur entreprise et d’approvisionner un marché à créneau relativement restreint.
Bob et Mary Jane croient aussi fermement en la participation soutenue de la famille, chose qui n’est pas toujours facile à accomplir, mais qui est toujours très gratifiante.
Il est aussi important d’aimer ce que vous faites. « Il faut être déterminé à produire les meilleurs produits possible, dit Bob. J’adore cultiver des poireaux, que ce soit en serre ou au champ, et j’adore le début de la récolte. J’aime aussi prendre le volant du camion de livraison. Je le fais encore lorsque j’en ai la possibilité. »
D’après un article de l’AgriSuccès par Bernard Tobin.
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