Aperçu de la situation économique au quatrième trimestre de 2024 : une autre année difficile pour le Canada
Plus tôt cette année, la Banque du Canada (BdC) est passée d’un resserrement à un assouplissement de sa politique monétaire, en raison de la diminution des tensions inflationnistes et de la nécessité de stimuler une économie en difficulté. Les baisses de taux d’intérêt qui ont eu lieu pour la première fois en juin auront-elles les effets escomptés en 2025? Ou bien y a-t-il trop d’autres vents contraires qui limiteront l’activité économique? Nous abordons ces questions dans l’Aperçu de la situation économique de FAC de ce trimestre.
Le ralentissement de la croissance démographique assombrit les perspectives au chapitre de la consommation
L’augmentation de la population canadienne au cours des dernières années a, de toute évidence, stimulé le PIB du pays. Parallèlement, le PIB par habitant a diminué depuis six trimestres consécutifs. Pour l’avenir, le taux de croissance démographique devrait ralentir en 2025, mais il est difficile de savoir exactement à quel niveau. Pour sa part, la BdC prévoit un taux de croissance de 1,5 %. Par ailleurs, Statistique Canada produit un large éventail de scénarios de croissance démographique. Leur scénario de croissance la plus faible prévoit une baisse de 0,9 %, tandis que leur scénario de croissance la plus élevée correspond à l’évaluation de la BdC de 1,5 %.
Peu importe son ampleur, un ralentissement de la croissance démographique équivaudrait à un ralentissement de la consommation, toutes choses étant égales par ailleurs. Toutefois, la BdC prévoit que le ralentissement de la croissance démographique sera compensé par l’augmentation des dépenses par habitant. Plus précisément, la BdC estime que les baisses de taux d’intérêt atténueront la pression sur le remboursement des dettes, ce qui libérerait des liquidités pouvant être consacrées à la consommation de biens et de services. Bien que nous soyons d’accord avec l’orientation de cette évaluation, la mesure dans laquelle cela se produira est sujette à débat. Pour les consommateurs dont le prêt à taux fixe ne sera pas renouvelé en 2025, les récentes réductions de la Banque du Canada n’auront que peu ou pas d’effet. En outre, plus de 1,1 million de prêts hypothécaires supplémentaires doivent encore être renouvelés en 2025, et bon nombre d’entre eux ont été souscrits lorsque les taux d’intérêt atteignaient des niveaux historiquement bas. Cela compensera l’allègement des taux variables observé ailleurs. Il ne faut donc pas s’attendre à une explosion des dépenses de consommation l’année prochaine.
La baisse des taux d’intérêt n’est pas une solution miracle pour relancer les investissements des entreprises
Selon la plus récente Enquête sur les perspectives des entreprises de la Banque du Canada, les intentions d’investissement des entreprises pour 2025 sont très modestes (figure 1). Cette estimation n’est pas un simple feu de paille : l’indicateur de la BdC qui mesure les intentions d’investissement nettes suit une tendance à la baisse notable depuis 2021, et au cours de trois des cinq derniers trimestres, l’indicateur a atteint son niveau le plus bas depuis 2017 (à l’exception des deux trimestres qui ont suivi le début de la pandémie).
Figure 1 : La confiance des entreprises quant à l’investissement dans les douze prochains mois reste modérée
L’incertitude quant aux politiques, tant au Canada qu’aux États-Unis, devrait inciter les entreprises à rester prudentes avant de réaliser d’autres investissements. En outre, la BdC a noté dans la même enquête que le ralentissement de l’économie dans son ensemble (c.-à-d., les travailleurs inactifs et la capacité de production inutilisée) freine les investissements.
Nous pouvons constater que ces intentions se traduisent par des décisions concrètes. Depuis quelques trimestres, l’investissement du secteur des entreprises est stable ou en baisse dans les quatre catégories d’investissement des entreprises (figure 2). Même les investissements dans les produits de propriété intellectuelle – qui ont connu la plus forte croissance depuis 2017 – sont stagnants depuis 2023. Il n’est pas donc pas étonnant que la croissance de la productivité du Canada demeure bien inférieure à celle des États-Unis. En somme, nous ne sommes pas certains que les prévisions de la BdC en matière d’investissement en entreprise contribueront à hauteur de 0,4 point de pourcentage à la croissance du PIB réel l’an prochain (voir le Rapport sur la politique monétaire – RPM – d’octobre).
Figure 2 : Les investissements des entreprises sont stables depuis plusieurs trimestres
Le potentiel de croissance des exportations et la menace imminente des tarifs douaniers
Toute perspective pour l’économie canadienne en 2025 serait incomplète sans aborder le problème dont personne n’ose parler : l’imposition possible de tarifs sur les exportations vers les États-Unis.
L’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) doit être revu en 2026, et il est peu probable que le processus de mise à jour de l’entente se déroule sans heurts. Le président élu Trump a menacé d’imposer des droits de douane de 25 % sur les produits canadiens et mexicains importés aux États-Unis. Les répercussions économiques de cette menace dépendront du tarif final choisi par la Maison-Blanche (le cas échéant) et de la manière dont le Canada et les autres partenaires commerciaux réagiront. La réduction des exportations devrait avoir une incidence négative sur la croissance du PIB. Par ailleurs, le dollar canadien devrait se déprécier dans un contexte de renforcement du dollar américain, renforcé par les tarifs et par une probabilité accrue de hausses de taux d’intérêt aux États-Unis en raison de l’inflation américaine.
Le secteur de l’énergie semble aussi vulnérable en théorie, étant donné que 97 % de ses exportations sont destinées aux États-Unis, mais ce secteur est quelque peu protégé par la réticence des décideurs politiques américains à accepter des répercussions, comme la hausse des prix de l’essence aux États-Unis. Dans le contexte de la croissance du PIB, la poursuite des exportations d’énergie est très importante car elle est le principal moteur de croissance des exportations depuis 2017 (figure 3).
Figure 3 : Les exportations d’énergie stimulent la croissance totale des exportations depuis plusieurs années
L’agrandissement de l’oléoduc Trans Mountain entre l’Alberta et la côte de la Colombie-Britannique pourrait offrir un certain répit, puisque le pays peut maintenant rediriger une partie de ses exportations pétrolières vers d’autres destinations que les États-Unis; néanmoins, la dépendance au marché américain reste importante. Peu importe l’accès aux marchés, la demande risque de ne pas suffire : selon nos prévisions actuelles, le prix du pétrole West Texas Intermediate (WTI) en 2025 sera de 70 dollars américains, la faible croissance du PIB mondial étant le principal facteur pesant sur les bas prix du pétrole.
Un huard plus faible est généralement favorable aux exportations, toutes choses égales par ailleurs; cependant, si la faiblesse du huard découle de l’imposition des droits de douane américains, les possibilités d’accroître les exportations par le biais d’une monnaie plus faible sont limitées. Si des droits de douane étaient adoptés, les producteurs de céréales et d’oléagineux pourraient être en mesure d’amortir légèrement le choc pour deux raisons. Tout d’abord, ces produits de base peuvent être entreposés en grande partie, ce qui signifie que la production peut être mise de côté jusqu’à ce que les tensions commerciales soient atténuées ou que d’autres marchés soient trouvés (ces produits de base sont également très uniformes et négociés à l’échelle mondiale, ce qui offre d’autres possibilités de diversification commerciale). Parmi les différents secteurs agricoles, ce sont les exportations de bétail qui risquent de subir les plus grandes pertes en cas d’imposition de tarifs douaniers, en raison de leur degré élevé d’intégration avec les États-Unis. En d’autres termes, nous avons du mal à accepter la prévision du RPM d’octobre de la Banque du Canada, selon laquelle les exportations contribueraient jusqu’à 1,5 point de pourcentage à la croissance du PIB réel l’an prochain.
En conclusion
Malgré les baisses de taux d’intérêt de la Banque du Canada, l’économie canadienne s’apprête à connaître une autre année de croissance décevante en 2025. Nous prévoyons actuellement une croissance du PIB d’environ 1,6 % en 2025, soit un demi-point de pourcentage de moins que les prévisions de la BdC pour l’année, simplement parce que nous sommes moins optimistes que la banque centrale en ce qui concerne la demande intérieure (en particulier le logement et les investissements des entreprises) et les exportations.
Dans un contexte économique aussi morose, nous pensons que la Banque du Canada devra encore réduire le taux de financement à un jour, qui se stabilisera probablement près du taux neutre estimé à 2,50 % à la fin de l’année 2025. Cependant, il ne faut pas s’attendre à une baisse marquée des taux à long terme de la courbe des rendements – qui sont le principal facteur qui détermine les taux fixes aux fins d’emprunt pour les emprunteurs, étant donné qu’ils sont étroitement liés aux bons du Trésor américain et par conséquent à l’inflation aux États-Unis. En ce qui concerne le dollar canadien, il est difficile d’être optimiste quant à ses perspectives, compte tenu de la baisse des taux à court terme et de l’imposition de tarifs douaniers par les États-Unis.
Résumé des prévisions concernant les principales variables économiques
Économiste principal
Graeme Crosbie est économiste principal à FAC. Ses domaines d’intérêt portent notamment sur l’analyse et les perspectives macroéconomiques et sur l’analyse et la surveillance de l’industrie agroalimentaire canadienne. Ayant grandi sur une ferme laitière dans le sud de la Saskatchewan, il formule à l’occasion des observations sur la santé de l’industrie laitière du Canada.
Graeme est employé à FAC depuis 2013 et a consacré la plus grande partie de ces années à la gestion du risque. Il détient une maîtrise en gestion avec spécialisation en économie financière de l’Université de Cardiff ainsi que le titre d’analyste financier agréé (CFA).