Le rôle des entreprises agricoles et agroalimentaires dans la lutte contre l’insécurité alimentaire croissante au sein des populations autochtones
Le Canada est considéré comme l’une des économies les plus riches au monde; en 2023, son PIB se classait au dixième rang mondial. Malgré cela, l’insécurité alimentaire demeure répandue dans tout le pays et a aussi augmenté au cours des dernières années en raison d’un vaste éventail de problèmes. Notamment, l’augmentation du coût des aliments attribuable à des conditions météorologiques défavorables, à la flambée du coût des intrants et aux perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales touche l’ensemble des Canadiens. La prévalence nationale de l’insécurité alimentaire a augmenté de 4,5 % entre 2021 et 2022, et les populations autochtones sont confrontées aux réalités de l’insécurité alimentaire dans des proportions nettement plus élevées que les populations non autochtones.
La situation va aussi en s’aggravant. À la fin de l’année 2022, plus d’un tiers de la population autochtone faisait état de divers degrés d’insécurité alimentaire – 37 %, contre un taux de 23 % pour l’ensemble de la population canadienne. On estime que près de 50 % [en anglais seulement] des ménages vivant dans les réserves souffrent d’insécurité alimentaire. Et au Canada, les ménages dont le principal soutien économique est une personne autochtone sont presque deux fois plus susceptibles de souffrir d’insécurité alimentaire [en anglais seulement] que les ménages dont le principal soutien économique est caucasien, même après la prise en compte de facteurs socioéconomiques tels que le revenu, la source de revenus et le fait d’être propriétaire d’un logement.
Si l’insécurité alimentaire chez les populations autochtones était ramenée à un niveau similaire à celui des populations non autochtones, cela se traduirait par une diminution de 165 000 personnes en situation d’insécurité alimentaire. Plusieurs initiatives et programmes ont été mis en place pour combler ce fossé, mais leur succès a été relatif. L’industrie agricole et agroalimentaire canadienne est particulièrement bien placée pour provoquer un changement positif à ce chapitre.
Avant de décrire le rôle des entreprises agricoles et agroalimentaires, examinons les facteurs à l’origine de l’insécurité alimentaire chez les peuples autochtones.
Pourquoi un tel écart?
Les écarts socioéconomiques importants et persistants entre les populations autochtones et non autochtones du Canada sont bien documentés. Le colonialisme, les conséquences des traumatismes intergénérationnels, de la discrimination et du racisme institutionnel, les obstacles à l’éducation et à la participation au marché du travail, ainsi que les conséquences à long terme des pensionnats ont tous eu des impacts intergénérationnels sur le statut socioéconomique des peuples, des ménages et des communautés autochtones.
Bien avant l’arrivée des colons européens, les peuples autochtones ont été les gardiens et les cultivateurs de la terre que l’on nomme aujourd’hui le Canada. Mais les répercussions historiques et contemporaines des politiques coloniales ont limité la capacité des peuples et des communautés autochtones à participer aux systèmes agricoles et agroalimentaires traditionnels et contemporains, ce qui constitue une entrave à la souveraineté alimentaire [en anglais seulement] et entraîne des impacts économiques, culturels et sanitaires négatifs importants. En moyenne, il existe un écart de 65 % dans le revenu d’exploitation médian entre les agriculteurs autochtones et les agriculteurs non autochtones.
L’inégalité de revenu entre les Autochtones et les non-Autochtones est prononcée. En 2022, l’écart entre le revenu annuel total moyen des Autochtones et celui des non-Autochtones était de 11 800 $ (23 %), selon Statistique Canada. Des facteurs comme les obstacles à l’éducation et à l’emploi et l’éloignement géographique de nombreuses communautés autochtones sont à l’origine de résultats négatifs en matière d’emploi, dont une participation plus faible au marché du travail et des taux de chômage plus élevés.
En raison de l’éloignement de certaines communautés, le prix des aliments est aussi disproportionné par rapport à ceux qu’on observe dans le reste du pays. Les coûts de transport élevés et les options limitées de vente au détail de produits alimentaires dans les communautés éloignées peuvent faire grimper les coûts des aliments de manière importante. En général, les prix des aliments sont environ deux fois plus élevés dans les communautés nordiques, et les effets de l’inflation alimentaire y sont beaucoup plus marqués.
Combler le fossé : le rôle du secteur agricole et agroalimentaire
L’insécurité alimentaire des populations autochtones est un problème complexe et multiforme, et sa résolution nécessite des efforts de la part de tous les acteurs du secteur agricole et agroalimentaire. Il existe plusieurs programmes gouvernementaux destinés à améliorer la sécurité alimentaire des Autochtones au moyen de subventions, de fonds d’urgence, d’infrastructures et du renforcement des capacités des populations autochtones. À l’échelle communautaire, partout au Canada, les peuples autochtones s’efforcent de revitaliser leurs systèmes alimentaires et de partager leurs connaissances culturelles sur leurs terres et sur la récolte et la culture des aliments traditionnels. Il est important de reconnaître et de promouvoir les efforts déployés par les communautés pour renforcer la souveraineté alimentaire.
Les propriétaires d’entreprises agricoles et agroalimentaires sont particulièrement bien outillés pour améliorer les possibilités d’emploi et les niveaux de revenus des populations autochtones. Que peuvent faire les entreprises pour améliorer la sécurité alimentaire des populations autochtones?
1. Encourager les investissements dans les infrastructures rurales physiques et numériques
Le renforcement des infrastructures rurales constitue un important vecteur de croissance économique. Les investissements dans les infrastructures physiques créent des emplois, renforcent les chaînes d’approvisionnement, offrent des possibilités de développement des entreprises et améliorent l’accès aux marchés du travail et de consommation. Le développement des infrastructures numériques, en particulier l’accès accru aux services à large bande, améliore l’accessibilité des régions rurales à l’éducation, à la formation professionnelle ainsi qu’aux possibilités d’emplois à distance. Les communautés autochtones se trouvent souvent dans des régions éloignées. L’amélioration des infrastructures rurales peut contribuer de manière décisive à accroître l’accès à l’éducation et aux marchés du travail, à augmenter les revenus, à renforcer les chaînes d’approvisionnement alimentaire et à rendre les aliments plus accessibles et abordables.
Les entreprises agricoles et agroalimentaires peuvent plaider en faveur d’investissements dans les infrastructures au sein des communautés autochtones et à proximité de celles-ci afin d’améliorer l’accès routier, les systèmes de transport rural et l’accès aux services à large bande. Vos entreprises bénéficieront d’une meilleure efficacité de la chaîne d’approvisionnement, d’un meilleur accès au marché et d’une connexion plus fiable.
2. Investir dans le recrutement des Autochtones
La pénurie de main-d’œuvre est un problème de longue date dans le secteur agricole et agroalimentaire, qui entrave la productivité et la croissance. Les Autochtones sont sous-représentés dans l’ensemble du secteur et constituent un important bassin de main-d’œuvre sous-exploité. En redoublant d’efforts pour recruter des Autochtones, vous pouvez aider votre entreprise à satisfaire ses besoins en main-d’œuvre, tout en augmentant les possibilités d’emploi et les revenus des Autochtones. L’amélioration des infrastructures rurales contribuera à l’atteinte de ce résultat.
Plusieurs entreprises, dont FAC, ont déterminé que la création d’une équipe de vente composée de membres autochtones permet d’accroître les débouchés au sein des communautés autochtones. Une meilleure représentation des Autochtones dans votre entreprise favorise également le recrutement et la fidélisation des employés.
L’augmentation des possibilités que présentent les environnements de travail hybride et à distance pour les postes les mieux rémunérés rendra ces postes plus accessibles aux Autochtones vivant dans les régions éloignées. Cela facilitera l’accès à des professionnels très motivés et réduira les coûts de formation de la main-d’œuvre.
Des entreprises de toutes tailles à travers le Canada, y compris FAC, ont adopté divers modèles de travail hybride qui ont favorisé l’atteinte de solides résultats d’affaires et amélioré l’expérience des employés.
3. Investir dans le capital humain
Après le recrutement d’employés autochtones, investissez dans la formation axée sur les compétences. Créez des voies claires pour l’avancement professionnel et la croissance des revenus des travailleurs autochtones une fois qu’ils sont embauchés. Faites la promotion des possibilités d’éducation et de formation professionnelle dans les communautés autochtones et près de celles-ci. Là encore, l’amélioration des infrastructures physiques et numériques peut contribuer à l’atteinte de ce résultat. L’investissement dans le capital humain permettra à votre entreprise d’attirer et de retenir les talents plus facilement dans le but de tirer profit de gains de productivité et d’innovations découlant de l’embauche d’employés polyvalents.
4. Investir dans des communautés autochtones
Les plans de développement actuels et futurs doivent être axés sur la recherche de possibilités de partenariat mutuellement avantageuses avec des communautés autochtones. L’investissement dans des communautés autochtones favorisera les possibilités de développement économique et est susceptible de créer des emplois et d’améliorer les revenus. Parallèlement, le développement économique peut avoir un effet d’entraînement positif en attirant d’autres entreprises dans la région, stimulant ainsi la croissance économique de la communauté.
Si, par exemple, vos champs se trouvent à proximité d’une communauté autochtone, envisagez d’y construire des bâtiments d’entreposage, des installations de classement ou des ateliers d’entretien et de réparation. Si votre entreprise de transformation alimentaire a besoin d’un entrepôt, d’une installation de conditionnement ou d’un magasin de détail, envisagez de le construire dans la communauté autochtone à proximité. Cela pourrait constituer un moyen rentable de développer votre entreprise, une occasion d’ouvrir de nouveaux marchés ou une façon d’améliorer l’accès à la main-d’œuvre.
5. Soutenir des entrepreneurs autochtones
Engagez-vous à acheter des biens et des services auprès d’entreprises autochtones. Consultez les associations locales d’entreprises autochtones pour connaître les services offerts à proximité et gardez ces entreprises à l’esprit lorsque vous recherchez des services professionnels. Vous pourriez miser sur des services de TI pour créer et gérer un site Web pour votre entreprise, faire appel à des spécialistes du marketing pour stimuler les ventes, embaucher un comptable pour vous aider à maximiser vos dépenses ou utiliser un service de transport local pour économiser sur les frais d’essence. Le recours à des services locaux peut se traduire par des économies pour votre entreprise.
Le soutien aux entreprises agricoles et agroalimentaires appartenant à des Autochtones, en particulier celles qui exercent leurs activités dans des communautés autochtones, renforcera la souveraineté alimentaire locale et favorisera la création d’emplois locaux, que ce soutien prenne la forme d’infrastructures, de formation ou d’investissements. L’une des occasions que vous pourriez envisager de saisir immédiatement consiste à revoir votre approche en matière d’approvisionnement. La création de stratégies, comme le programme d’approvisionnement auprès de fournisseurs autochtones de FAC, augmente la diversité de pensée au sein de votre entreprise, soutient les entrepreneurs autochtones et favorise la réconciliation économique.
6. Rechercher des possibilités de coentreprise
Ces types de collaborations vous permettront peut-être d’étendre vos activités et d’accéder à de nouveaux marchés, tout en fournissant des ressources précieuses, du mentorat et de la formation axée sur les compétences aux entrepreneurs autochtones. Les coentreprises peuvent prendre diverses formes. Les accords structurés de manière à permettre au copropriétaire autochtone de racheter l’entreprise au fil du temps favorisent le transfert des richesses vers les communautés autochtones.
Les collaborations avec des entreprises autochtones peuvent renforcer vos capacités grâce au partage des ressources, des connaissances et de l’expertise. Les connaissances autochtones relatives à la production alimentaire locale et durable peuvent favoriser les innovations en matière de gérance de l’environnement et de durabilité.
La balle est dans votre camp
Les entreprises agricoles et agroalimentaires qui collaborent avec les communautés autochtones peuvent stimuler l’emploi et les revenus, et promouvoir l’égalité et l’inclusion tout en améliorant la rentabilité. Apprenez à connaître vos voisins autochtones et recherchez des ressources en vue de faire des affaires avec des partenaires autochtones. Vous découvrirez peut-être des possibilités que vous n’aviez jamais envisagées. Nous avons tous un rôle à jouer dans la mise en place d’un secteur agricole et agroalimentaire plus équitable et plus accessible pour tous les Canadiens, afin que l’insécurité alimentaire ne soit plus qu’un mauvais souvenir!
Article par : Bethany Lipka, analyste de la veille stratégique, et Isaac Kwarteng, économiste principal