L’ACEUM a jeté les bases pour que le Canada nourrisse les Américains confinés à domicile
Voici le deuxième article d’une série de deux portant sur la performance commerciale de l’industrie agroalimentaire du Canada après l’entrée en vigueur de trois accords multilatéraux avec de grands marchés mondiaux : l’Accord commercial global et économique (AECG) en 2017, l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) en 2018 et l’Accord Canada– États– Unis-Mexique (ACEUM) en 2020. Notre premier article portait sur les exportations de céréales et d’oléagineux; celui-ci couvre les exportations de denrées alimentaires du Canada.
Il est difficile de surestimer l’importance des exportations de viande dans les performances commerciales globales du Canada. En 2023, les exportations du secteur des aliments et des boissons du Canada vers 176 pays se sont chiffrées à 47,6 milliards $. Le porc et le bœuf représentaient 17 % de la valeur totale des exportations. Les exportations sont également soumises à un large éventail de barrières tarifaires et non tarifaires, ce qui souligne encore davantage l’importance des accords qui ouvrent l’accès aux marchés mondiaux.
L’ACEUM a stimulé les exportations de viande et de produits alimentaires non carnés
Dans l’ensemble, l’ACEUM a favorisé les exportations alimentaires du Canada, avec une croissance plus rapide depuis le début de la pandémie, lorsque l’accord est entré en vigueur (figure 1). L’accord a permis au Canada de répondre à l’augmentation de la demande américaine pour les aliments destinés à la cuisine à domicile pendant la COVID-19. L’année dernière, les exportations canadiennes d’aliments non carnés ont atteint 14,8 milliards de kilogrammes, augmentant en moyenne de 4,9 % par année entre 2020 et 2023. L’ACEUM, comme l’ALENA auparavant, a permis aux exportations canadiennes d’accéder à la demande croissante et s’est révélé particulièrement utile pour les exportations de matières grasses et d’huiles.
Figure 1 : Les exportations de viande bénéficient d’une aide indispensable depuis l’entrée en vigueur de l’ACEUM
Les exportations canadiennes de viande vers les États-Unis et le Mexique, bien qu’elles représentent des volumes beaucoup plus faibles que les exportations de produits non carnés, ont augmenté davantage depuis 2020 qu’elles ne l’ont fait au cours des cinq années précédentes. En fait, les exportations de viande vers les partenaires nord-américains étaient stables depuis des années. Entre 2020 et 2023, elles ont augmenté de 6,3 % en moyenne chaque année, la croissance des exportations de bœuf étant prédominante. Ce n’est peut-être pas une surprise. La production américaine de porc a dépassé la demande pendant un certain temps, ce qui permet de disposer d’une offre intérieure abondante, alors que le pays réagit à la faiblesse de l’offre intérieure de bœuf, découlant du fait que le cheptel est le plus petit depuis 60 ans.
Il y a lieu de s’attendre à une nouvelle croissance cette année, compte tenu de la forte demande émanant des économies américaine et mexicaine, qui restent dynamiques. Les exportateurs canadiens devront toutefois garder à l’esprit que la croissance des ventes pourrait être beaucoup plus faible en 2025, en raison du ralentissement économique attendu en Amérique du Nord et d’une éventuelle montée du protectionnisme à la suite des élections américaines de novembre.
L’AECG a-t-il permis de stabiliser les exportations de viande du Canada vers l’Union européenne?
L’Union européenne (UE), qui se caractérise par des niveaux élevés de revenus disponibles et des millions de consommateurs ayant une préférence pour les produits alimentaires de haute qualité, est le plus grand marché développé du monde en termes de population. La signature de l’AECG a établi des contingents tarifaires pour la viande rouge, donnant aux agriculteurs canadiens un accès annuel en franchise de droits pour un maximum de 80 000 tonnes métriques de porc (y compris la consolidation du contingent existant d’environ 6 000 tonnes métriques) et 50 000 tonnes métriques d’exportations de bœuf par an. En 2017, le contingent du Canada était d’un peu plus de 5 000 tonnes de viande de porc et d’un peu moins de 3 300 tonnes de viande de bœuf.
Toutefois, l’espoir suscité par l’AECG, qui promettait de stimuler les exportations de viande canadienne semble s’être estompé (figure 2). Avant la signature de l’accord, les exportations de viande canadienne vers l’Europe étaient en déclin, affichant une baisse décevante de 22,4 % par an, en moyenne, entre 2013 et 2017. En 2017, année de la signature de l’AECG, les exportations de viande vers l’Europe totalisaient 3,7 millions de kilogrammes. En 2022, elles avaient chuté de 42,6 % et se situaient bien en deçà du contingent alloué, en grande partie en raison du renforcement de la réglementation de l’UE et de l’aversion accrue pour l’utilisation des hormones de croissance et des vaccins dans la production de viande.
Figure 2 : Les exportations de produits alimentaires non carnés vers l’UE augmentent tandis que les exportations de viande diminuent
Cependant, les périodes avant et après l’entrée en vigueur de l’AECG nous permettent de rester optimistes. Entre 2018 et 2022, nos exportations de bœuf et de porc ont continué à diminuer, mais à un rythme légèrement plus lent, avec une perte moyenne de 9,2 % par année, contre une perte annuelle de 22,4 % avant la signature. En 2023, les exportations de viande ont plus que doublé en volume d’une année sur l’autre, atteignant presque les volumes exportés en 2019, ce qui est peut-être un bon présage pour l’avenir. La production européenne de bœuf a baissé de 3,9 % sur douze mois en 2023 et une nouvelle baisse est prévue pour 2024, car les troupeaux diminuent également et les consommateurs européens se tournent de plus en plus vers les protéines d’origine végétale.
Les exportations canadiennes de produits alimentaires autres que la viande n’ont pas maintenu leur taux de croissance antérieur à la signature de l’AECG, mais cette croissance est restée robuste. Entre 2013 et 2017, le volume des exportations a augmenté de 7 % en moyenne chaque année. Entre 2018 et 2022, il a également augmenté, mais à un taux moyen réduit de 4,7 % par an. Cette évolution s’explique principalement par l’augmentation considérable en 2020 des exportations de matières grasses et d’huiles et par la croissance des exportations de café, de produits de meunerie, de sucre, de cacao et de boissons pendant toute la durée de la pandémie.
Si nos exportations globales de produits alimentaires vers l’Europe ont augmenté au cours des dix dernières années, il est important de noter qu’elles sont exprimées en millions de kilogrammes, alors que nos exportations dans le cadre de l’ACEUM et du PTPGP sont mesurées en milliards de kilogrammes. Même si nous n’atteignons pas nos contingents accordés, le potentiel de l’UE d’accroître les exportations canadiennes est peut-être surestimé. Par ailleurs, la récente montée de la droite dans la politique européenne est plus susceptible de renforcer les barrières commerciales que de les réduire.
Le commerce canadien avec les partenaires du PTPGP fluctue en fonction de nos échanges avec le Japon
L’Asie est un autre marché lucratif à développer pour le Canada. Les exportations canadiennes vers les pays du PTPGP sont fortement influencées par le Japon, qui fait partie des trois principaux marchés d’exportation du Canada pour de nombreux produits agricoles. En 2023, il était également le deuxième acheteur de viande du Canada, après les États-Unis. Son territoire restreint et sa population importante font du Japon un importateur net de produits agricoles et alimentaires. Ses consommateurs aisés préfèrent avoir accès à des produits de haute qualité, dont le prix est relativement plus élevé et c’est le genre de produits que le Canada fournit. La plupart des autres signataires du PTPGP sont de petits importateurs de produits alimentaires canadiens, même si certains ont connu une croissance rapide ces dernières années.
À titre d’exemple, les exportations de produits alimentaires vers les pays du PTPGP ont pris de l’ampleur avant l’entrée en vigueur de l’accord (figure 3). Les exportations de viande ont augmenté de 6,6 % et celles de produits non carnés ont connu une croissance de 7,5 %, en moyenne, chaque année entre 2014 et 2018. Entre 2019 et 2023, ces deux taux ont diminué. Les exportations de viande sont restées stables au cours des cinq années suivantes, mais les exportations d’autres produits alimentaires et de boissons ont diminué, en moyenne, de 3,9 % chaque année.
Figure 3 : Les exportations de viande vers le Japon sont le moteur de la croissance des exportations de produits alimentaires vers les partenaires du PTPGP*
Les volumes d’importation du Japon ont été le principal moteur de ces tendances. La croissance des importations de viande rouge canadienne par le Japon s’est élevée en moyenne à plus de 8 % par an entre 2014 et 2018, mais cette tendance s’est inversée après l’entrée en vigueur du PTPGP, avec une baisse moyenne de 4,4 % par année entre 2019 et 2023. Au cours de cette même période de dix ans, les volumes de viande ont occupé une place plus grande parmi toutes les exportations de produits alimentaires vers le Japon, passant de 31,3 % des exportations totales en 2013 à 43,4 % des exportations totales en 2023.
Même si le Chili et le Mexique sont signataires du PTPGP, le Canada avait déjà accès au marché de chacun d’eux : Le Mexique, grâce à l’ALENA et l’ACEUM, et le Chili, avec lequel nous partageons un accord commercial bilatéral. Pour l’avenir, la région offre de nombreuses possibilités et de nombreux défis aux exportateurs canadiens. La classe moyenne grandissante dans les économies en développement du PTPGP accroît la demande alimentaire. Toutefois, l’instabilité géopolitique résultant des nombreux conflits mondiaux devrait freiner le commerce global en rendant plus coûteux l’approvisionnement en matériaux et le transport des marchandises, ce qui aura des répercussions sur de nombreuses économies de la région Asie-Pacifique. Le Japon, qui devrait connaître une faible croissance en 2024 et 2025, tout en faisant face à une population vieillissante, à un niveau d’endettement élevé et à la possibilité d’un affaiblissement du yen, pourrait particulièrement être touché.
Rédactrice économique
Membre de l’équipe des Services économiques depuis 2013, Martha Roberts est une spécialiste en recherche qui étudie les risques et les facteurs de réussite pour les producteurs agricoles et les agroentreprises. Martha compte 25 années d’expérience dans la réalisation de recherches qualitatives et quantitatives et la communication des résultats aux spécialistes de l’industrie. Elle est titulaire d’une maîtrise en sociologie de l’Université Queen’s à Kingston, en Ontario, et d’une maîtrise en beaux-arts en écriture non fictive de l’Université de King’s College.