Mise à jour des perspectives de 2023 pour le secteur des céréales, des oléagineux et des légumineuses : une météo incertaine et un conflit mondial sont au rendez-vous alors que les cultures arrivent à maturité
Voici la deuxième mise à jour trimestrielle de nos perspectives de 2023 pour les principales cultures publiées en janvier. Au cours des deux prochaines semaines, nous mettrons à jour les perspectives pour le secteur laitier et les secteurs bovin et porcin.
En 2022-2023, les prix de certaines cultures (canola, pois jaunes et blé de printemps) ont continué à diminuer par rapport à nos dernières perspectives, prolongeant une tendance générale à la baisse observée depuis le mois de janvier (tableau 1).
Toutefois, certaines cultures semblent avoir profité d’un raffermissement des prix jusqu’ici en 2023 (maïs, soya et lentilles rouges). Nous nous attendons toutefois à ce que ces prix diminuent ou se stabilisent pour le reste de l’année de commercialisation (AC). La bonne nouvelle est que, même si ces prix suivent une tendance à la baisse, ils devraient demeurer largement supérieurs à leur moyenne respective sur cinq ans.
Tableau 1 : Malgré une nouvelle baisse, les prix des cultures demeurent largement supérieurs à leur moyenne sur cinq ans
La situation actuelle est compliquée sur le plan de la rentabilité. Dans l’Est du Canada, les marges des cultures (pour une rotation blé d’hiver/maïs/soya) devraient diminuer en glissement annuel, mais demeurer positives jusqu’à la fin de la période de prévision. Aussi à risque d’une baisse en glissement annuel, la plupart des cultures de l’Ouest (orge, canola, blé de printemps, blé dur et lentilles rouges) seront rentables, mais les prix des pois jaunes subiront des pressions. Il s’agit là d’une vue d’ensemble. Toutefois, une analyse approfondie révélera fort probablement d’importantes variations dans les marges, compte tenu de la volatilité des prix des cultures et des intrants constatée cette année. Les marges seront soumises à des pressions accrues si les producteurs ont acheté des intrants l’automne dernier en prévision de la présente campagne agricole (ce qui est une pratique courante) ou s’ils ont mis sous contrat de grandes portions de leurs récoltes lorsque les prix affichaient une tendance à la baisse. Parallèlement, ceux qui ont effectué leurs achats ou signé leurs contrats à un moment plus opportun pourraient vraisemblablement enregistrer d’excellentes marge.
Les prix des intrants continuent de chuter en 2023, alors que les niveaux de certains stocks mondiaux commencent à se relâcher
Dans nos perspectives publiées en janvier, nous avons déterminé que les faibles niveaux des stocks mondiaux et les coûts élevés des intrants étaient deux facteurs à surveiller en 2023. Nous sommes heureux d’annoncer que les prix des intrants ont continué de chuter depuis notre mise à jour du mois de mai. La baisse enregistrée au cours des trois derniers mois a accéléré le renversement en 2023 de la tendance haussière des prix des intrants (essence mauve, diesel et urée) en glissement annuel pour la récolte de l’année dernière (2022-2023). En parallèle, les coûts des engrais se sont mis soit à diminuer (phosphate) soit à augmenter plus lentement (ammoniac et potasse) pour les cultures de la campagne 2023-2024 (tableau 2).
Tableau 2 : Les prix des intrants agricoles diminueront en 2023 grâce au rétablissement de l’équilibre entre l’offre et la demande
L’autre facteur important qui a des répercussions sur les marchés des céréales et des oléagineux est le resserrement de l’offre mondiale. Vu la tendance actuelle, ce ne sont pas les conditions de croissance observées en Amérique du Nord en 2023 qui vont remédier à la situation. Le plus récent rapport sur les stocks de céréales publié par l’USDA révèle que les stocks de maïs, de blé et de soya étaient toujours restreints aux États-Unis en date du 1er juin. Ils accusent tous une diminution en glissement annuel.
Selon le rapport WASDE de juin, les prévisions des stocks mondiaux de 2023-2024 sont supérieures en glissement annuel pour les trois cultures, mais les stocks de blé de fin d’année devraient demeurer restreints et s’établir à 6 % de moins que la moyenne des cinq années antérieures (de 2018-2019 à 2022-2023). En revanche, les stocks de maïs mondiaux de fin d’année devraient atteindre des niveaux jamais vus depuis 2018-2019 grâce à la superficie (la troisième plus grande depuis 1944) qui est consacrée à la culture de cette céréale cette année aux États-Unis. Les stocks de soya atteindront leur niveau le plus élevé depuis cinq ans si l’on se fie à la production record du Brésil. La demande mondiale totale (consommation intérieure et exportations) de blé devrait demeurer stable en glissement annuel au cours de l’année de commercialisation 2023-2024. On prévoit une augmentation de la consommation de maïs et de soya, mais la production mondiale de chacune de ces céréales devrait augmenter encore plus.
Deux autres facteurs importants ont une incidence sur le secteur des cultures en ce début d’été : l’évolution du conflit entre la Russie et l’Ukraine a encore une fois semé l’incertitude sur les marchés, pendant que les producteurs nord-américains attendent que les niveaux d’humidité se rééquilibrent.
Le conflit entre la Russie et l’Ukraine, un coup d’État avorté et les répercussions probables de l’accord d’exportation négocié par l’ONU
Le traité d’exportation entre la Russie et l’Ukraine a pris fin le 17 juillet après le retrait de Moscou de l’accord qui permettait à l’Ukraine d’exporter ses céréales et oléagineux à partir de ses ports sur la mer Noire. Cela fait suite à la tentative éphémère d’un groupe de mercenaires de déstabiliser les hauts dirigeants de l’armée russe la fin de semaine des 23 et 24 juin. L’offensive a donné naissance à de sérieuses spéculations sur de probables perturbations de l’approvisionnement mondial en céréales; ces spéculations semblent s’être concrétisées sur les marchés tôt lundi matin. Toutefois, la flambée des prix s’est rapidement estompée, ce qui laisse croire que les marchés avaient déjà pris en compte la décision du président Vladimir Poutine de ne pas reconduire le traité.
Bien que la fin de l’accord soit sans doute contreproductive, car il sert à la fois les intérêts de l’Ukraine et ceux de la Russie, le retrait de la Russie pourrait être de courte durée. Entre-temps, les préoccupations concernant la sécurité alimentaire vont en grandissant à mesure que les acheteurs, en particulier ceux dans les pays en développement, cherchent à s’approvisionner en produits agricoles ailleurs qu’en Ukraine.
La météo, encore la météo, toujours la météo
Bien que cela reste toujours un enjeu, les conditions météorologiques difficiles qui ont sévi jusqu’à présent dans de nombreuses régions de l’Amérique du Nord dominent les discussions sur les risques de production et de commercialisation. Les prairies canadiennes se sont asséchées – le mois de juin a été extrêmement chaud et sec, ce qui a produit une récolte en avance d’une ou deux semaines par rapport à la normale dans la plupart des régions. En Alberta, les conditions de croissance ont été pires que les moyennes quinquennale et décennale (au 30 juin), puisqu’elles ont été jugées bonnes ou excellentes dans 45 % des cas seulement contre 75 % en 2022. À ce jour, quatre comtés de l’Alberta ont déclaré un état d’urgence agricole.
Pour ce qui est de la situation ailleurs, la croissance végétative a été très bonne en Saskatchewan jusqu’à présent, et moyenne au Manitoba. Aux États-Unis, la moitié des superficies consacrées au soya et au maïs ont été jugées comme ayant des conditions de croissance bonnes ou excellentes en date du 2 juillet, ce qui représente aussi une baisse importante par rapport aux moyennes, car l’état des cultures s’est détérioré dans certaines régions malgré des averses dispersées.
Cependant, on peut trouver un point positif parmi toutes ces mauvaises nouvelles. Une comparaison des conditions de croissance précoces aux États-Unis et des rendements potentiels donne à penser qu’il y a peut-être encore de l’espoir pour la récolte de cette année. Les rendements réels n’ont pas toujours été inférieurs aux tendances, comme le montre une analyse de 10 années de données affichant des conditions inférieures à bonnes ou excellentes dans 60 % des cas à peu près au même moment pendant la campagne agricole. Malgré notre quasicertitude que les rendements diminueront dans de nombreuses régions sans une amélioration importante des niveaux d’humidité, le destin de la récolte de 2023 n’est pas encore scellé.
En conclusion
Vu l’augmentation prévue des stocks mondiaux des principaux produits agricoles au cours de l’année de commercialisation 2023-2024, les prix pourraient continuer de diminuer et d’exercer des pressions sur les marges tout au long de la période de prévision. Mais il y a également des nouvelles encourageantes. Les tensions géopolitiques et les prévisions météorologiques défavorables pourraient stimuler les prix alors que les coûts des intrants agricoles continuent de diminuer. Et nous pourrions aussi avoir encore un peu de répit bientôt. Les taux d’intérêt sont sur le point d’atteindre leur apogée à la suite de la plus récente hausse du taux directeur de la Banque du Canada, qui est passé à 5,00 %. Malgré le resserrement des conditions financières et les perspectives économiques qui s’assombrissent, l’équipe des Services économiques FAC s’attend à ce que les taux commencent à diminuer d’ici l’année prochaine.* Compte tenu de tous ces facteurs mis ensemble et des fortes fluctuations des prix en 2023, une gestion efficace des risques est essentielle à la gestion de la rentabilité.
* Pour obtenir un complément d’information, consultez la Mise à jour trimestrielle de FAC sur l’économie et les marchés financiers.
Rédactrice économique
Membre de l’équipe des Services économiques depuis 2013, Martha Roberts est une spécialiste en recherche qui étudie les risques et les facteurs de réussite pour les producteurs agricoles et les agroentreprises. Martha compte 25 années d’expérience dans la réalisation de recherches qualitatives et quantitatives et la communication des résultats aux spécialistes de l’industrie. Elle est titulaire d’une maîtrise en sociologie de l’Université Queen’s à Kingston, en Ontario, et d’une maîtrise en beaux-arts en écriture non fictive de l’Université de King’s College.