Perspectives de 2024 pour le secteur des céréales, des oléagineux et des légumineuses : la chute des prix de produits de base exercera une pression sur les marges
La chute des prix des intrants caractérise les années de culture 2023-2024 et 2024-2025, ce qui contrebalancera partiellement la baisse de prix de plusieurs produits agricoles. Ceci exercera une pression accrue sur les marges, surtout pour les cultures de l’Ouest, qui dépassera ce que le secteur a connu récemment. Cette année, nous surveillerons les ratios stocks-utilisation à l’échelle mondiale, les prévisions météorologiques mondiales et les coûts de l’équipement, car ces trois facteurs auront une influence importante sur la rentabilité des cultures.
Les prix de produits de base pour l’année de commercialisation (AC) 2023-2024 affichent une baisse sur douze mois (en glissement annuel), mais ceux du maïs, du blé de printemps et de l’orge fourragère ont vraisemblablement déjà atteint un plancher (tableau 1). Les prix de l’orge fourragère du Canada ont subi des pressions en raison de la disponibilité de maïs relativement bon marché aux États-Unis et de l’absence de demande à l’exportation, et les niveaux de stocks de report de l’orge au Canada devraient correspondre à la moyenne sur cinq ans. Toutefois, la faiblesse des réserves attribuable aux baisses de rendement causées par la sécheresse dans les Prairies contribuera à augmenter les prix pour la nouvelle année de commercialisation et à les maintenir à un niveau nettement supérieur à la moyenne sur cinq ans.
Tableau 1 : Les prix des cultures ($/tonne) pour la nouvelle année de commercialisation devraient demeurer supérieurs aux moyennes sur cinq ans
L’accroissement des stocks mondiaux et américains de maïs continuera de peser sur les prix canadiens, tout comme les hausses des importations et de la production en 2023-2024. Malgré cette pression, les prix devraient demeurer supérieurs à la moyenne sur cinq ans, car on s’attend à ce que les stocks de report diminuent de 11 % par rapport à la moyenne sur cinq ans. Les stocks canadiens de blé autre que le blé dur sont plus abondants que prévu compte tenu des conditions de croissance enregistrées en 2023 dans les Prairies, mais on s’attend à ce que les stocks de report de cette année diminuent de 14 % par rapport à la moyenne sur cinq ans. Compte tenu de la vigueur soutenue des exportations marquée par la faiblesse des réserves mondiales de blé et de l’utilisation intérieure prévue qui suit les tendances historiques, les prix pour 2024-2025 devraient être conformes voire légèrement supérieurs à ceux de l’année précédente.
L’année de commercialisation 2024-2025 indique une nouvelle baisse des prix du soya, du canola, des pois jaunes et des lentilles en glissement annuel. Les prix du soya et du canola seront soumis à des pressions en raison de l’ampleur des stocks mondiaux de soya destinés aux marchés de l’huile végétale et du biodiesel, et d’une augmentation possible de la superficie consacrée au soya aux États-Unis en 2024. La production de soya du Brésil est un facteur d’incertitude à surveiller. Les prix des pois continueront vraisemblablement de baisser ou de se stabiliser à des niveaux inférieurs, malgré l’élimination récente des tarifs sur les pois jaunes canadiens appliqués par le gouvernement indien, puisque cette mesure est temporaire. On s’attend à ce que le blé dur se stabilise au prix de l’an dernier, mais qu’il demeure supérieur à la moyenne sur cinq ans.
En ce qui concerne les dépenses, les prix de tous les engrais devraient être inférieurs à ceux de l’année précédente alors que les coûts des intrants continuent de se stabiliser. Si les prix de produits de base sont en baisse, les prix des engrais diminuent plus rapidement, ce qui atténue dans une certaine mesure la pression exercée sur les marges. La rentabilité des cultures dans l’Est (blé d’hiver, maïs et soya) sera serrée, mais se rapprochera du seuil de rentabilité au cours de la période de prévision de trois mois. Les marges de l’Ouest subiront une pression beaucoup plus forte. Le risque de baisse proviendra de l’augmentation des dépenses d’équipement et des charges d’intérêt tandis que le secteur fait face à une hausse des coûts par acre.
Tendances à surveiller
Voici les principales tendances économiques susceptibles d’influer sur les fermes céréalières en 2024 :
les ratios stocks-utilisation à l’échelle mondiale
les niveaux d’humidité dans les Prairies
les coûts d’équipement à l’acre
Ratios stocks-utilisation à l’échelle mondiale pour le blé, le canola, le soya et les céréales secondaires
Les stocks mondiaux de blé devraient être faibles tout au long de l’année de commercialisation 2023-2024, avec un ratio stocks-utilisation inférieur à la moyenne sur cinq ans. Ceci soutiendra les prix en 2024 (figure 1). Les prévisions actuelles indiquent des stocks élevés de maïs, de céréales secondaires et de soya, ce qui fait baisser leurs prix.
Figure 1 : Ratios stocks-utilisation à l’échelle mondiale
Les stocks de canola au Canada sont actuellement restreints, en baisse de 36 % d’une année sur l’autre et de 60 % par rapport à la moyenne sur cinq ans. Il est à noter que la demande intérieure augmentera probablement cette année avec la mise en service d’une nouvelle usine de biodiesel. Au premier trimestre de 2023-2024, le Canada a établi un record de trituration du canola et on s’attend à ce qu’il soit dépassé grâce à l’expansion supplémentaire prévue. (Pour plus de détails, veuillez lire notre billet sur les principales tendances à surveiller.) Avec la demande accrue, le ratio stocks-utilisation du Canada pourrait être soumis à d’autres pressions baissières (figure 2).
Figure 2 : Les faibles stocks de canola subiront d’autres pressions en 2024
Une année El Niño
Les terres cultivées de l’Ouest devraient être sèches à l’approche de l’hiver, mais l’Outil de surveillance des sécheresses au Canada d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) montre certaines réserves d’humidité du sol relativement plus élevées comparativement à l’année précédente. Néanmoins, les conditions de sécheresse pourraient être exacerbées par le régime climatique El Niño, qui entraîne généralement un hiver plus chaud et plus sec.
L’Outil de surveillance des sécheresses au Canada montre que la totalité de la Saskatchewan était aux prises avec des degrés variables de sécheresse au 31 octobre. Les données historiques sur la sécheresse (de 2003 à 2023) datées de février de chaque année illustrent l’effet des conditions de s écheresse sur les rendements subséquents de canola et de blé en Saskatchewan (figure 3).
Figure 3 : Le niveau de sécheresse de la Saskatchewan en février peut déterminer le rendement des cultures de l’année prochaine par rapport à la tendance
Les rendements ont été particulièrement affectés en 2021, alors que plus de la moitié de la province a connu un certain degré de sécheresse en date du 28 février. La sécheresse de 2023 a été la plus importante des 20 dernières années, mais les répercussions sur le rendement ne furent pas aussi graves. Les années 2022 et 2016 montrent que les pluies durant la saison de croissance peuvent atténuer la sécheresse en début de saison. Ces rendements étaient proches ou nettement au-dessus de leurs tendances respectives sur cinq ans.
Coûts d’équipement à l’acre
Des tensions inflationnistes et des blocages dans la chaîne d’approvisionnement ont fait grimper les coûts de fabrication de l’équipement en raison du coût des matières premières et de la main-d’œuvre. À mesure que les prix de l’équipement ont augmenté, les hausses de taux d’intérêt ont augmenté les dépenses liées à la modernisation de l’équipement. Les prix de produits de base ont également augmenté depuis 2020, ce qui a permis d’alléger le fardeau, mais avec les baisses projetées des prix des cultures cette année, les exploitations nécessitant la modernisation de leur équipement pourraient ressentir une contrainte financière supplémentaire sur la superficie consacrée aux céréales et aux oléagineux [en anglais seulement].
Par exemple, une moissonneuse-batteuse neuve de catégorie 8 sans organe de coupe était affichée à 800 000 $ en novembre 2023. En utilisant le calcul d’un paiement d’un prêt standard sur cinq ans à taux fixe à 6,4 % et avec une mise de fonds de 0 %, le versement semestriel de la moissonneuse-batteuse dépasserait 110 000 $. Cela représente une hausse de 65,6 % depuis janvier 2020 (figure 4).
Figure 4 : Versements semestriels pour une moissonneuse-batteuse neuve (de 2019 à 2023)
Par acre, la moissonneuse-batteuse coûterait à elle seule 60 $ l’acre (en supposant 250 heures par année à un débit moyen de 15 acres/heure), comparativement à 35 $ l’acre en 2020 (en supposant que le débit de l’équipement plus ancien soit le même que le modèle plus récent sur une période de cinq ans).
Rédactrice économique
Membre de l’équipe des Services économiques depuis 2013, Martha Roberts est une spécialiste en recherche qui étudie les risques et les facteurs de réussite pour les producteurs agricoles et les agroentreprises. Martha compte 25 années d’expérience dans la réalisation de recherches qualitatives et quantitatives et la communication des résultats aux spécialistes de l’industrie. Elle est titulaire d’une maîtrise en sociologie de l’Université Queen’s à Kingston, en Ontario, et d’une maîtrise en beaux-arts en écriture non fictive de l’Université de King’s College.