Perspectives de 2024 pour le secteur des légumineuses : le contexte actuel est favorable, mais peut-être pas pour longtemps
Les perspectives sont favorables aux légumineuses en Amérique du Nord, et ce marché est actuellement plus vigoureux que ceux d’un bon nombre des principales grandes cultures. Cette vigueur découle de la forte demande d’exportation et des perspectives de temps sec.
Le soutien dont bénéficient les prix est attribuable aux faibles niveaux de stocks, à des pressions météorologiques et à une forte demande
Les pois jaunes et verts feront l’objet d’une forte demande mondiale, qui devrait augmenter d’une année à l’autre dans les deux cas et dépasser facilement les moyennes sur cinq ans respectives (tableau 1). Le marché des pois jaunes bénéficiera du prolongement récent de la suspension des droits imposés par l’Inde, et celui des pois verts se porte bien grâce à la faiblesse des stocks mondiaux. Les prix devraient demeurer élevés jusqu’à la récolte nord-américaine de cette année, et les conditions météorologiques seront le principal facteur à surveiller.
Au cours de la nouvelle campagne agricole, les prix des lentilles rouges devraient chuter par rapport à l’année précédente pour s’établir sous leur moyenne sur cinq ans. La récolte de l’Inde, qui a lieu en février et en mars, aura une influence décisive sur l’évolution de ces prix, tout comme le programme d’exportation de grosses lentilles rouges de l’Australie.
La vigueur soutenue de la demande et la diminution de l’offre soutiendront le marché des grosses lentilles vertes. Leurs prix fléchiront d’une année à l’autre par rapport à leurs sommets historiques de l’année commerciale (AC) 2023-2024, mais ils resteront bien au-dessus de leur moyenne sur cinq ans. Les quantités récoltées, stimulées par les augmentations des superficies ensemencées et des rendements, devraient contribuer à rapprocher le rapport offre-demande de ses tendances historiques.
Tableau 1 : Les prix des lentilles et des pois évoluent dans des directions opposées
Les prix que reçoivent les producteurs canadiens sont tributaires de la bonne santé et de la stabilité des marchés d’exportation de légumineuses. Ces facteurs déterminent les prix relatifs des lentilles vertes par rapport à ceux des lentilles rouges ainsi que ceux des pois jaunes par rapport à ceux des pois verts, en tenant compte des différences régionales en Asie dans les préférences pour chaque type de légumineuse. Étant donné que 74 % de la production de pois et 81 % de la production de lentilles du Canada sont exportés, des proportions qui sont beaucoup plus élevées que dans le cas de plusieurs céréales et oléagineux, les variations de la demande sur ces marchés se ressentent.
De plus, si les exportations totales de légumes à cosse secs du Canada sont acheminées vers une série de marchés différents (les cinq principaux marchés comptaient pour 62 % de la valeur totale des exportations en 2023), les exportations de lentilles et de pois sont plus concentrées. En 2023, environ 60 % des exportations de lentilles ont été acheminées vers trois pays, soit l’Inde (32,5 %), la Turquie (19,3 %) et les Émirats arabes unis (8,4 %). Le marché des pois se concentre aux trois quarts dans trois pays : la Chine (55,8 %), les États-Unis (11 %) et le Bangladesh (8,6 %). Toute perturbation dans ces marchés, qu’elle soit liée à l’offre ou à la demande, peut entraîner des variations importantes des prix et des exportations au Canada.
Les superficies de lentilles et de pois augmenteront au Canada en 2024
Compte tenu de la montée des prix des lentilles vertes et des pois, les Services économiques FAC prévoient une augmentation d’une année à l’autre des intentions d’ensemencement des producteurs pour 2024 (figure 1).
Figure 1 : Les superficies ensemencées devraient augmenter en réaction aux signaux de prix
Il y a toutefois une ombre au tableau en ce qui concerne les prix : les légumineuses se portent mieux que plusieurs autres grandes cultures dans des conditions arides, et les conditions de croissance sèches attribuables à El Niño qui sont prévues pour l’été 2024 risquent de faire augmenter les superficies consacrées aux légumineuses en 2024-2025. Toutefois, en raison de l’offre restreinte de semences, il sera difficile d’augmenter les semis.
Par conséquent, Agriculture et Agroalimentaire Canada prévoit, au cours de la campagne agricole 2024-2025, une augmentation importante (+32 %) de la production canadienne de lentilles qui s’accompagnera d’une croissance de l’offre totale et des stocks de report. Cela stimulera les exportations cette année, après que les réserves du Canada ont été épuisées en 2023-2024 en raison d’une baisse de la production attribuable à la sécheresse. Le ratio stocks-utilisation devrait augmenter de plus du double grâce à la nouvelle récolte.
On prévoit que la production de pois secs se bonifiera de 18,8 % d’une année à l’autre, après que les mauvaises conditions de croissance ont réduit la récolte de 2023-2024 de 28 % d’une année à l’autre. L’offre totale et les stocks de report progresseront suffisamment pour faire pression sur les prix de la nouvelle récolte.
Tendances à surveiller
Suspension prolongée des droits imposés par l’Inde sur les pois jaunes dans une ère d’autosuffisance en matière de production : Le 21 février, l’Inde a annoncé que la suspension des droits sur les pois sera prolongée de six à huit semaines après le 31 mars. La recrudescence de la demande a fait bondir les prix, du moins temporairement. Vu le contexte, on ignore quelle sera la durée de la suspension des droits, mais la persistance d’une inflation alimentaire élevée en Inde est propice à un autre prolongement.
Inde : Le plus important producteur, importateur et consommateur de légumineuses au monde rehausse sa production afin de devenir autosuffisant autant que possible. Lors de la récente conférence mondiale sur les légumineuses, on a constaté l’autosuffisance du pays pour ce qui est des pois chiches et de plusieurs autres légumineuses. La production de légumineuses a bondi de 60 %, passant de 17,1 millions de tonnes en 2014 à 27,0 millions de tonnes en 2024. Cela pourrait être un défi pour les producteurs canadiens, qui, dernièrement, reçoivent des prix plus élevés des importateurs indiens pour les pois et les lentilles. Au cours des cinq dernières années, l’Inde a été le deuxième marché d’exportation des légumineuses canadiennes (derrière la Chine), comptant pour 17,3 % de la valeur des exportations canadiennes. Cette année, les élections en Inde pourraient facilement entraîner des changements aux droits imposés, aux politiques et aux incitatifs à la production.
La Chine, qui est en passe de devenir un important marché d’exportation, contribue à combler le déficit des exportations vers l’Inde, car sa demande fluctue en raison de contraintes de production internes liées aux conditions météorologiques et de l’imposition de droits d’importation. À l’avenir, le Canada rivalisera avec la Russie et d’autres producteurs de légumineuses afin d’établir des relations commerciales avec ce pays.
Production et prix des légumineuses en Australie : L’Australie prévoit que sa production de lentilles s’établira à 1,39 million de tonnes en 2023-2024, soit un peu moins que le record de 1,69 million de tonnes enregistré en 2022-2023. Elle a récemment augmenté ses exportations de lentilles rouges vers les marchés internationaux.
Contraintes d’expédition au Moyen-Orient : La guerre à Gaza a ravivé les problèmes de retard et augmenté les coûts liés au détournement de cargaisons en mer Rouge, où les cargaisons de légumineuses sont transportées par conteneur.
Été marqué par El Niño : Les légumineuses tolèrent mieux les conditions de croissance sèches que d’autres cultures, mais un autre été sec réduirait les rendements pour la deuxième année consécutive. Bien que cette possibilité semble soutenir les prix des lentilles et des pois, ce soutien pourrait s’évaporer si les taux d’humidité s’avèrent suffisants.
Rédactrice économique
Membre de l’équipe des Services économiques depuis 2013, Martha Roberts est une spécialiste en recherche qui étudie les risques et les facteurs de réussite pour les producteurs agricoles et les agroentreprises. Martha compte 25 années d’expérience dans la réalisation de recherches qualitatives et quantitatives et la communication des résultats aux spécialistes de l’industrie. Elle est titulaire d’une maîtrise en sociologie de l’Université Queen’s à Kingston, en Ontario, et d’une maîtrise en beaux-arts en écriture non fictive de l’Université de King’s College.
Les gains de productivité peuvent augmenter la production mondiale de céréales, accroître les stocks de clôture et promouvoir la sécurité alimentaire.