Le rôle du Canada à l’égard de la sécurité alimentaire mondiale
Au cours des dernières années, la sécurité alimentaire mondiale a été un enjeu crucial dans un contexte de conflits mondiaux, de changements climatiques, de perturbations de la chaîne d’approvisionnement et de chocs économiques, autant de facteurs qui ont contribué à la hausse importante du prix des aliments. Même si l’inflation du prix des aliments a été en baisse au cours des derniers mois, elle demeure élevée en raison des stocks mondiaux de nourriture nettement insuffisants par rapport à la consommation. Le Canada a la capacité d’améliorer davantage la sécurité alimentaire mondiale, en offrant une assistance technique aux pays aux prises avec l’insécurité alimentaire et, plus directement, en accroissant la production alimentaire qu’il destine aux marchés de la planète. Nous estimons que pour ramener au sommet atteint en 2016-2017 le ratio stocks-utilisation des céréales, qui a reculé à l’échelle mondiale, il faudrait une augmentation de 6 % de la production mondiale, à laquelle le Canada pourrait apporter une contribution majeure en relançant la croissance de sa productivité agricole.
Comment définissons-nous la sécurité alimentaire?
La sécurité alimentaire fait référence à un accès physique et économique adéquat à des aliments de qualité, sains et nutritifs. Elle est en baisse depuis 2018 en raison de multiples facteurs : inégalités économiques croissantes, conditions météorologiques extrêmes et pandémie de COVID-19. La guerre de la Russie contre l’Ukraine a transformé un problème en véritable crise, car elle a fait grimper les prix des aliments, de l’engrais et de l’énergie. L’Indice FAO des prix des produits alimentaires (IPPA) était stable entre 2015 et 2020, avant d’atteindre des niveaux records en 2022, puis de modérer en 2023, quoiqu’il soit plus élevé que le niveau observé historiquement (figure 1). L’inflation a entraîné des niveaux sans précédent de personnes gravement touchées par l’insécurité alimentaire dans le monde : on estime que près d’un milliard de personnes sont gravement touchées par l’insécurité alimentaire, ce qui représente environ 11 % de la population mondiale.
Figure 1 : Indice FAO des prix des produits alimentaires et population mondiale en situation d’insécurité alimentaire
Les ratios stocks-utilisation des céréales continuent de baisser
L’augmentation de l’insécurité alimentaire mondiale a coïncidé avec la diminution des ratios stocks-utilisation des principaux produits agricoles. Le ratio stocks-utilisation illustre l’équilibre entre l’offre et la demande pour un produit donné. Sur les marchés planétaires, les réserves jouent un rôle très important, car elles permettent d’amortir les effets des chocs de production sur les prix du marché. En cas de déficit de production, les stocks disponibles peuvent contribuer à atténuer les hausses de prix et les effets néfastes sur la sécurité alimentaire.
Malgré une augmentation projetée de 2 % de la production annuelle totale de céréales (blé et céréales secondaires) pour atteindre 2,3 milliards de tonnes en 2023-2024 (un niveau record), le ratio mondial stocks-utilisation devrait diminuer pour représenter environ 13 semaines d’approvisionnement alimentaire, soit le niveau le plus bas en dix ans (figure 2). Le potentiel de production est freiné par des conditions météorologiques défavorables dans certains grands pays producteurs de céréales ainsi que par la guerre de la Russie contre l’Ukraine. La demande mondiale reste robuste, et l’augmentation des achats de blé et de maïs par la Chine contribuent dans une large mesure au resserrement des stocks. Afin de promouvoir la sécurité alimentaire intérieure, le gouvernement de la Chine exerce un important contrôle sur les stocks, qui sont tenus à l’écart des marchés mondiaux. Si l’on exclut les stocks détenus en Chine, le ratio stocks-utilisation est encore plus restreint, puisqu’il ne représente que 8 semaines d’approvisionnement, soit le niveau le plus bas depuis plus de 10 ans.
Figure 2 : Resserrement des stocks mondiaux de céréales
Le rôle du Canada à l’égard de la sécurité alimentaire mondiale
Les réserves mondiales de céréales relativement serrées, combinées à de possibles perturbations futures de l’offre, suggèrent que les prix des aliments sont susceptibles de demeurer volatils, d’où la nécessité de stimuler la productivité agricole afin d’accroître l’approvisionnement, de faire baisser les prix des produits alimentaires et d’améliorer la sécurité alimentaire mondiale.
Pour quantifier les effets d’un ratio stocks-utilisation en baisse, nous examinons son rapport avec l’IPPA. Il n’est pas surprenant que la diminution des stocks de céréales soient associée à des prix élevés. Nous utilisons ce rapport pour estimer l’incidence de la production du Canada sur le ratio stocks-utilisation et l’IPPA à l’échelle mondiale.
Compte tenu du niveau actuel de la consommation annuelle de céréales dans le monde (2,3 milliards de tonnes) et du ratio stocks-utilisation de 13 semaines, la production mondiale de cultures devrait augmenter de 130 millions de tonnes pour atteindre le ratio stocks-utilisation de 16 semaines précédemment atteint en 2016-2017. Il faut donc rehausser la production mondiale pour reconstituer les stocks et accroître les exportations pour répondre à la forte demande alimentaire. Un effort collectif consenti par tous les principaux pays producteurs de céréales, sous forme de hausse de productivité et d’assistance technique procurée aux pays aux prises avec l’insécurité alimentaire, contribuera à l’atteinte de cet objectif, qui pourrait nécessiter des années de gains de productivité.
Pour atteindre cet objectif, il faudrait que la production mondiale augmente d’environ 6 %. La part du Canada dans la production mondiale supplémentaire serait de 18 millions de tonnes, ce qui représente une croissance de 28 % au cours des dix prochaines années. Il s’agit d’une tâche ardue qui nécessiterait d’importants gains de productivité dans l’industrie agricole. La part du Canada dans les exportations agricoles végétales passerait alors de 8 % à plus de 11 %. Par conséquent, les prix des produits alimentaires dans le monde diminueraient d’environ 7 %, toutes choses étant égales par ailleurs. Cela permettrait également de réduire de près de 350 millions le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire (ce qui représente une baisse de 36 % par rapport aux niveaux actuels).
Le Canada est un acteur clé du marché mondial des engrais
Le Canada peut favoriser des gains de productivité dans le secteur agricole à l’échelle mondiale, notamment en mettant à profit son énorme capacité de production d’engrais. Les engrais peuvent jouer un rôle crucial dans la résolution des problèmes de sécurité alimentaire dans le monde, car ils sont indispensables pour reconstituer les éléments nutritifs du sol et augmenter le rendement des cultures.
La potasse est un élément nutritif essentiel pour les cultures et une source de potassium qui aide à augmenter le rendement de cultures telles que le maïs et le soya. La potasse, le phosphate et l’azote forment la base des engrais modernes. Le Canada est le premier producteur et exportateur mondial de potasse, possédant environ 45 pour cent des réserves mondiales, estimées à plus d’un milliard de tonnes. La guerre de la Russie contre l’Ukraine offre aux producteurs canadiens de potasse une occasion unique d’accroître leur part de marché. Le Canada est devenu le deuxième exportateur mondial d’engrais en 2022, la valeur de ses exportations ayant plus que doublé par rapport à l’année précédente (figure 3).
Figure 3 : Exportations d’engrais du Canada
Le Canada peut jouer un rôle de premier plan dans la lutte contre l’insécurité alimentaire
Grâce à sa richesse en terres arables et en eau, combinée à une technologie de production et à des connaissances poussées, le Canada peut jouer un rôle encore plus important de chef de file et de fournisseur de produits alimentaires fiables, sains et durables. Les menaces qui pèsent actuellement sur la sécurité alimentaire mondiale offrent au Canada l’occasion de renforcer son statut de superpuissance alimentaire en stimulant la productivité tout en soutenant le programme alimentaire mondial.
Économiste principal
En tant qu’économiste principal à FAC, Isaac Kwarteng se concentre sur la recherche et les prévisions économiques à long terme, en soutien à la stratégie et à la gestion du risque. De plus, il appuie le bureau de la PDG en répondant aux demandes de renseignements et de données.
M. Kwarteng est entré au service de FAC en 2023. Auparavant, il a occupé des fonctions touchant l’économie, la recherche et la statistique pour le gouvernement de la Saskatchewan pendant une décennie.
Titulaire d’une maîtrise en économie de l’Université d’East Anglia, au Royaume-Uni, il détient aussi une maîtrise en statistique de l’Université de Regina, où il est actuellement inscrit au programme de doctorat.