Quel est l’impact du nouveau record d’endettement en agriculture?
Il ne fait aucun doute que le milieu du crédit est en train de changer : la Banque du Canada a augmenté les taux d’intérêt à quatre reprises depuis notre évaluation des actifs et de la dette agricoles en 2017. Les marchés agricoles traversent également une période de forte turbulence en raison des conditions météorologiques et des tensions commerciales. Les prix des produits de base ont fléchi de façon générale en 2018 et la volatilité s’est intensifiée. Dans ce contexte économique et financier incertain, la dette agricole totale du Canada a augmenté de 6,6 % par rapport à 2016 et dépassé les 100 milliards de dollars canadiens en 2017.
Bien que cette situation puisse sembler être une source d’inquiétude, le Bilan du secteur agricole de Statistique Canada suggère que ce n’est pas le cas, car il brosse le portrait d’un secteur qui a su faire preuve de résilience en traversant une période un peu plus turbulente que d’habitude.
Le plus récent bilan de Statistique Canada démontre que l’industrie agricole est résiliente, malgré la période plus turbulente que d’habitude.
Je vais examiner comment certaines mesures financières utilisées dans le Bilan peuvent servir à évaluer la santé financière de l’agriculture canadienne et expliquer pourquoi je pense que le secteur sera en bonne position pour terminer l’année 2018 et commencer 2019.
Le levier financier est resté à des niveaux acceptables
J’ai observé quatre indicateurs pour évaluer la santé globale du secteur agricole. Le ratio d’endettement global de l’industrie a été le seul à s’être légèrement amélioré en 2017 – par rapport à un niveau déjà robuste. Comme il s’agit de l’indicateur le plus surveillé en agriculture, sa solidité augure bien pour la santé à venir du secteur.
La baisse du ratio d’endettement à 0,15 signifie que le secteur agricole a financé chaque 1,0 dollar canadien de ses actifs avec 0,15 dollar canadien d’emprunt, soit un niveau correspondant à sa moyenne sur dix ans (Figure 1). Ce sont les provinces du Québec à l’Alberta qui ont entraîné à cette baisse, leurs ratios d’endettement étant chacun inférieurs à la moyenne sur dix ans.
Figure 1: La C.-B. et les provinces de l’Atlantique résistent à la tendance à la baisse du ratio d’endettement en 2017
La situation par rapport à l’année précédente est différente. Alors qu’à l’échelle nationale le ratio s’est amélioré au cours des 12 derniers mois, les provinces de l’Ontario, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique ont chacune enregistré une hausse par rapport à 2016 (données non présentées). Dans chacune de ces provinces, la dette agricole a augmenté plus rapidement par rapport à l’année précédente alors que la valeur de l’actif s’est également accrue, mais plus lentement que l’année précédente.
Les pressions sur la liquidité se sont intensifiées, mais sont restées gérables
Le ratio du fonds de roulement, qui mesure la liquidité, est un autre indicateur clé de la santé globale du secteur. Même avec l’augmentation de la dette, l’agriculture canadienne a pu afficher un bon niveau de liquidité en 2017, puisqu’elle disposait d’assez d’actifs facilement convertibles pour rembourser toute la dette à court terme. Le solide ratio du fonds de roulement du secteur, établi à 2,27 en 2017 (Figure 2), signifie que l’agriculture canadienne disposait de 2,27 dollars canadiens d’actif à court terme pour chaque 1,0 dollar canadien de passif à court terme. Même s’il correspondait aussi à une baisse de 2,5 % par rapport à 2016 et qu’il était inférieur à la moyenne sur dix ans, il se situait tout de même à une fourchette acceptable.
Figure 2 : Le ratio du fonds de roulement fléchit dans la plupart des provinces, mais reste solide
Seuls le Québec et le Manitoba ont enregistré une augmentation de leurs ratios du fonds de roulement en 2017 par rapport à l’année précédente et, avec la Colombie-Britannique, ils ont affiché des ratios supérieurs à leur moyenne sur dix ans. La Saskatchewan continue de détenir le ratio du fonds de roulement le plus élevé de toutes les provinces (3,4), ce qui ne surprend pas étant donné les grandes exploitations de céréales et d’oléagineux qui dominent l’agriculture en Saskatchewan. Mais, même là, le ratio du fonds de roulement a été inférieur à la moyenne sur dix ans en 2017.
Du fait des pressions exercées sur les prix de certaines cultures, de l’augmentation des taux d’intérêt et des coûts des intrants agricoles tout au long de l’année 2017, les ratios de l’Ontario, de l’Alberta et des provinces de l’Atlantique ont également diminué en 2017 par rapport à leurs moyennes respectives sur dix ans. Toutefois, chacun de ces ratios est resté à un niveau favorable.
La croissance de la valeur de l’actif augmente plus rapidement que le revenu net
La valeur de l’actif agricole canadien s’élevait à 632,2 milliards de dollars canadiens en 2017, soit une augmentation de 6,9 % par rapport à l’année précédente. En même temps, le revenu net a légèrement baissé après le recul des prix des produits de base et l’augmentation des coûts de l’énergie et de l’intérêt. Ensemble, la croissance de la valeur de l’actif et la diminution du revenu net ont entraîné la baisse du rendement de l’actif du secteur agricole canadien à un niveau inférieur à la moyenne sur dix ans (Figure 3).
Alors qu’elle avait affiché le rendement de l’actif le plus élevé au cours des dix dernières années, la Saskatchewan a enregistré une baisse de 21 % de ce rendement en 2017, soit la plus forte diminution au pays. L’Alberta a également enregistré une baisse par rapport à l’année précédente et, au Québec, le rendement de l’actif est resté inchangé en 2017.
Figure 3 : Même avec la plus forte diminution par rapport à sa moyenne sur dix ans, le rendement de l’actif de la Saskatchewan est resté le plus élevé en 2017
Ailleurs, le rendement du secteur a progressé par rapport à l’année 2016. De même, l’amélioration du revenu net s’est traduite par un rendement accru en 2017 dans les provinces de l’Atlantique, en Ontario, au Manitoba, en Alberta et en Colombie-Britannique, ce rendement ayant atteint des niveaux supérieurs aux moyennes provinciales sur dix ans.
Les terres agricoles sont de moins en moins abordables
La valeur des terres agricoles a progressé en 2017, représentant au total environ 70 % de tous les actifs. Les prix des terres, le revenu agricole et le lien entre les deux varient d’une province à l’autre, mais de façon générale et en tenant compte du ratio terre-revenu, les terres agricoles canadiennes sont devenues moins abordables.
La valeur des terres agricoles au Canada représente environ 70 % du total des actifs agricoles en 2017.
Ratio terre-revenu = Valeur des terres agricoles/Recettes monétaires agricoles
Interprétation des données de ratio
Le ratio terre-revenu mesure l’abordabilité des terres à partir des recettes monétaires agricoles (c.-à-d. les recettes brutes tirées des récoltes). La valeur moyenne des terres et les recettes monétaires sont calculées à l’acre.
Il n’y a pas de niveau idéal pour le ratio terre-revenu. La composition des cultures et la productivité influent sur le ratio, qui, par conséquent, varie d’une province à l’autre. Il est plus exact d’évaluer les valeurs actuelles en comparant le ratio d’une même province au fil du temps.
L’appréciation de la valeur des terres est plus rapide que celle des recettes monétaires agricoles depuis 2012. Étant donné cette augmentation plus rapide, le ratio terre-revenu a atteint en 2017 un niveau plus élevé que la moyenne sur dix ans dans toutes les provinces (Figure 4). Cela signifie que les terres sont chères d’un point de vue historique, mais il faut aussi tenir compte d’autres facteurs. La tendance à la baisse des taux d’intérêt pendant presque toute la dernière décennie, les effets de richesse et la croissance attendue du secteur de l’agriculture peuvent expliquer pourquoi les ratios sont plus élevés que leur moyenne.
Figure 4 : Le ratio terre-revenu a augmenté dans toutes les provinces en 2017
Conclusion
Quelques vents contraires ont commencé à souffler sur l’agriculture canadienne en 2018, mais j’estime que l’agriculture canadienne est en bonne position pour affronter la tempête. Les données financières de l’industrie sont solides malgré quelques ralentissements récents. Selon mes prévisions, les résultats de 2018 et 2019 devraient se rapprocher des niveaux de 2017 en raison de la forte demande globale.
Comprendre l’exposition de l’industrie aux fluctuations possibles de la conjoncture, que ce soit la tendance vers la stabilisation du revenu agricole ou d’autres augmentations éventuelles des taux d’intérêt, peut permettre d’éviter des difficultés financières. En plus de guider individuellement les exploitants, cette conscience de la situation pourrait fort bien contribuer au maintien de la santé globale de l’agriculture canadienne.
La semaine prochaine, vous pourrez vous renseigner sur les incidences de la hausse actuelle des taux d’intérêt sur l’agriculture canadienne.
Économiste agricole
Amy s’est jointe à l’équipe des Services économiques de FAC en 2017 afin d’observer les tendances en agriculture et de cerner les occasions et les défis dans le secteur. Elle a grandi sur une ferme mixte familiale de la Saskatchewan, qu’elle continue de soutenir. Amy possède une maîtrise en économie appliquée et en gestion de l’Université Cornell ainsi qu’un baccalauréat en économie agricole de l’Université de la Saskatchewan.