<img height="1" width="1" src="https://www.facebook.com/tr?id=806477592798641&ev=PageView&noscript=1"/>

L’incertitude liée aux marges a une incidence sur les décisions d’ensemencement au Canada

9 avr. 2025
8,5 min de lecture
Producteur agricole dans son champ inspectant son semoir au printemps.

La période d’ensemencement approche à grands pas au Canada, et l’incertitude entourant les cultures que les producteurs choisiront cette année est plus grande qu’à l’habitude en raison des perturbations commerciales actuelles et possibles. Depuis nos perspectives de 2025 pour les cultures publiées en janvier, les tarifs douaniers et les enjeux commerciaux se sont intensifiés; toutefois, la mise en valeur des céréales, dont les prix sont en hausse par rapport aux oléagineux, a été confirmée. Ces perspectives fournissent de l’information permettant de prendre des décisions de commercialisation éclairées, en fonction des décisions prises par les producteurs en matière d’ensemencement, dans un contexte d’incertitude.

Les prix des cultures sont volatils pour le début de l’année 2025

Malgré les remous engendrés par les tarifs américains, les prix du canola et du blé ont connu un bon départ en 2025 par rapport au début de l’année. À la mi-février, les prix à terme du canola et du blé étaient en hausse de 8 % et 9 % respectivement. Ils ont ensuite chuté, en particulier le prix du canola après l’annonce des tarifs douaniers imposés par la Chine au début du mois de mars (figure 1). Toutefois, les prix à terme du canola ont rebondi au cours des trois dernières semaines, soulignant la volatilité actuelle.

Figure 1 : Les prix à terme du canola ont baissé de 10 %, mais se sont légèrement redressés depuis

Graphique linéaire montrant l’évolution des prix du blé et du canola depuis le début de l’année.

Sources : CME, Services économiques FAC

Les prix du soya et du maïs ont connu un phénomène semblable au cours des trois premiers mois de l’année, augmentant à la fin janvier et en février avant de reculer en mars. Pendant la même période, un portrait plus précis de l’ampleur de la récolte de soya en Amérique du Sud s’est dessiné, exerçant une pression sur les prix du soya.

Le resserrement des marges s’intensifiera en raison des perturbations commerciales continues

En l’absence de tarifs douaniers, la rentabilité s’annonçait déjà limitée pour la campagne 2025-2026; compte tenu de l’incidence des tarifs douaniers (ou des tarifs douaniers potentiels), la situation est encore plus délicate.

Nos dernières estimations de rentabilité pour le blé et le canola dans l’Ouest du Canada font état de rendements moyens de 50 $ à 75 $ l’acre (sans compter le coût des terres). Dans l’Est, les estimations étaient d’environ 375 $ l’acre pour le maïs et le soya, excluant encore le coût des terres. Ces chiffres supposent des rendements moyens à l’échelle régionale, de sorte que les insuffisances de production localisées réduiraient ces estimations. Nous reconnaissons également qu’il est difficile d’établir des prévisions de prix dans cet environnement et que ces estimations comportent un risque considérable de baisse. Dans ces conditions, nous illustrons l’effet d’une baisse de prix de 15 % sur ces chiffres. Une telle baisse entraînerait des rendements négatifs pour le canola (-25 $/acre) et des rendements au seuil de rentabilité pour le blé dans l’Ouest. Dans l’Est, les rendements s’établiraient à 240 $ l’acre pour le maïs et à 280 $ l’acre pour le soya (figure 2).

Figure 2 : Rendement moyen projeté après tous les coûts (sauf le coût des terres), campagne agricole 2025-2026

Diagramme à barres montrant les marges potentielles pour le canola et le blé dans les Prairies, et pour le maïs et le soya en Ontario et au Québec. Avec l’imposition de tarifs douaniers, les marges des cultures de l’ensemble du pays seront sous pression par rapport aux dernières années.

Sources : Gouvernements de la Saskatchewan, de l’Alberta, du Manitoba et de l’Ontario; Statistique Canada; Services économiques FAC

Peu de changements attendus dans les intentions d’ensemencement des grandes cultures ce printemps

Historiquement, les producteurs de l’Est du Canada sont demeurés fidèles à leur rotation de cultures comprenant le soya, le maïs et le blé d’hiver. Au cours des dix dernières années, le maïs et le soya ont été les deux cultures les moins susceptibles de connaître des fluctuations sur le plan des superficies ensemencées, tandis que les cultures plus petites (selon la superficie totale ensemencée) connaissaient des fluctuations annuelles plus importantes par rapport à leurs moyennes (tableau 1). En Ontario et au Québec, Statistique Canada estime que 3,9 et 3,1 millions d’acres de soya et de maïs seront ensemencés respectivement en 2025. Les États-Unis devraient ensemencer près de 5 millions d’acres de maïs supplémentaires ce printemps par rapport à l’année dernière, le ratio mondial stocks-utilisation étant plus faible que celui du soya.

Tableau 1 : Superficies ensemencées au Québec et en Ontario pour les grandes cultures

Cultures

Classement de la variabilité (de la plus élevée à la plus basse)*

Estimation de Statistiques Canada 2025

Seigle (tout)

1

210 200

Orge

2

142 000

Avoine

3

177 200

Blé d’hiver

4

1 268 500

Blé de printemps

5

190 100

Soya

6

3 862 000

Maïs

7

3 141 600

*Une statistique pour chaque culture a été calculée et classée en conséquence, de la plus élevée à la plus basse. Elle tient compte des variations annuelles des superficies ensemencées par rapport à la moyenne des dix dernières années. Elle permet par ailleurs d’effectuer des comparaisons entre les cultures, indépendamment du nombre total d’acres ensemencés.
Sources : Statistique Canada, Services économiques FAC

La situation est semblable dans l’Ouest. Les superficies de canola et de blé (blé de printemps et blé dur) ont tendance à varier très peu sur douze mois (tableau 2) par rapport à leurs moyennes respectives. C’était vrai, même entre 2019 et 2022, alors que la Chine imposait des restrictions à l’importation de graines de canola en provenance du Canada. Il est vrai que les superficies ensemencées en canola ont diminué en 2019 et 2020, mais seulement par rapport aux sommets atteints en 2017 et 2018; en effet, les superficies de 2020 étaient comparables à celles de 2015 et 2016. Outre les considérations agronomiques, cette situation est probablement attribuable au fait que les exportations de graines ont trouvé d’autres marchés et d’autres voies d’acheminement vers la Chine. Les exportations vers l’Union européenne ont été très importantes en 2020 et 2021 (en raison de la très faible production européenne de colza en 2019 et 2020), ce qui a partiellement compensé les possibilités d’exportation limitées vers la Chine. Statistique Canada estime que 21,5 millions d’acres de canola seront ensemencés en 2025.

Tableau 2 : Le blé et le canola sont les cultures les moins susceptibles de connaître des changements majeurs sur le plan des superficies ensemencées

Cultures

Classement de la variabilité (de la plus élevée à la plus basse)*

Estimation de Statistiques Canada 2025

Pois chiches

1

453 000

Soya

2

1 626 100

Lin

3

446 500

Moutarde

4

286 800

Seigle (tout)

5

472 700

Maïs (ensilage)

6

378 100

Maïs (grain)

7

553 400

Avoine

8

2 695 500

Lentilles

9

4 167 600

Pois

10

3 474 600

Orge

11

6 005 300

Graines à canaris

12

230 700

Blé de printemps

13

19 115 200

Blé dur

14

6 341 600

Canola

15

21 461 100

* Une statistique a été calculée pour chaque culture et classée de la plus élevée à la plus basse. Elle tient compte des variations annuelles des superficies ensemencées par rapport à la moyenne des dix dernières années. Elle permet par ailleurs d’effectuer des comparaisons entre les cultures, indépendamment du nombre total d’acres ensemencés.
Sources : Statistique Canada, Services économiques FAC

La situation est différente cette fois-ci. Les tarifs récemment annoncés par la Chine s’appliquent à l’huile et au tourteau, et non aux semences; de plus, avec l’essor de la capacité de trituration nationale, l’industrie est différente de celle qu’elle était il y a cinq ans. La diversification des marchés est plus marquée pour les semences, mais moins pour l’huile et le tourteau. Les États-Unis et la Chine dominent les marchés mondiaux d’importation de tourteau et d’huile, plus de 65 % de chaque produit étant expédié vers l’un ou l’autre de ces pays (figure 3).

Figure 3 : Principaux importateurs mondiaux de graines et de produits de canola

Diagramme à barres empilées montrant à quel point la Chine, l’Union européenne et les États-Unis stimulent la demande d’importations de graines et de produits de canola.

Moyenne sur cinq ans

Sources : PSD de l’USDA

La production européenne de colza a diminué de 14 % en 2024 (la plus petite récolte enregistrée depuis 2020) en raison des conditions météorologiques défavorables. Parallèlement, entre octobre 2024 et février 2025, plus de 700 000 tonnes métriques de graines de canola canadien ont été exportées vers l’Union européenne, soit le rythme d’exportation le plus élevé depuis 2020-2021. Cette situation pourrait contribuer à expliquer la stabilité récente des prix de l’ancienne récolte, en dépit des tarifs imposés par la Chine, et à soutenir les prix jusqu’à la fin de la campagne actuelle. Le niveau de production dans l’Union européenne en 2025 pourrait avoir une incidence importante sur les prix du canola pour 2025-2026, et il faudra le surveiller de près cet été.

Certaines superficies variables pourraient être consacrées au lin et aux lentilles cette année. Nos estimations de rentabilité pour 2024-2025 et 2025-2026 indiquent que ces deux cultures offrent des rendements intéressants, et l’on observe historiquement une plus grande variation des superficies ensemencées pour celles-ci, particulièrement pour le lin, qui occupe le troisième rang de notre classement au titre de la variabilité (tableau 2). On pourrait également voir une hausse des superficies en soya au Manitoba, compte tenu de la variabilité historique d’une année à l’autre et du fait que les superficies consacrées aux pommes de terre pourraient diminuer cette année, les acheteurs de la province ayant apparemment réduit leurs achats de pommes de terre cette année.

En conclusion

Cet hiver, la météo a suscité moins d’attention, tant en raison de la volatilité des marchés des cultures que de l’amélioration des cartes de sécheresse, qui montrent les meilleures conditions hivernales depuis 2020. Il reste cependant un long chemin à parcourir avant que la récolte ne soit entreposée. Aujourd’hui plus que jamais, il est important de comprendre les coûts de production de chaque exploitation. La seule chose dont on peut être certain à propos des prix en 2025-2026, c’est qu’il y aura de la volatilité et, à certains moments, des occasions de sécuriser des rendements. C’est peut-être encore plus vrai pour 2025-2026, alors que les prix sont influencés davantage par les politiques géopolitiques que par les principes fondamentaux de l’offre et de la demande, et que ces politiques peuvent être mises en œuvre (ou annulées) d’un simple trait de plume.

Justin Shepherd, économiste principal
Graeme Crosbie, économiste principal