Revue de l’année 2022 par les Services économiques
Les plus optimistes d’entre nous espéraient avoir vu le pire des répercussions de la pandémie de COVID‑19. Si c’était le cas, une modération de la demande suffirait à diminuer les pressions inflationnistes sans qu’une intervention spectaculaire de la Banque du Canada soit nécessaire. Cependant, lorsque l’année a commencé avec un taux d’inflation de 5,1 % et en pleine vague du variant Omicron, personne n’aurait pu prédire s’il s’agirait d’autre chose qu’un vœu pieux.
Janvier
La pandémie de COVID-19 avait provoqué une demande monstre sur les marchés mondiaux, qui coûtaient de plus en plus cher à approvisionner. Comme ailleurs dans le monde, les experts croyaient que les taux d’intérêt augmenteraient au Canada en 2022, estimant que le taux de financement à un jour, qui se situait alors à 0,25 % terminerait l’année à 1,5 %. On s’attendait à ce que des hausses aussi importantes fassent chuter l’inflation à environ 3 % avant le mois de décembre. L’économie se portait bien, même mieux que prévu, et on entrevoyait une forte croissance.
Toutefois, on voyait apparaître des signes des forces qui allaient bientôt dominer l’actualité. Les producteurs agroalimentaires canadiens bénéficiaient des prix élevés des produits de base grâce à la vigueur soutenue de la demande mondiale, ce qui en incitait certains à se demander si ces prix n’étaient pas à l’origine de l’inflation alimentaire qui sévissait partout dans le monde. L’influence démesurée exercée par la Chine en 2020 et 2021 sur le commerce agroalimentaire mondial commençait à décliner, ce qui a eu pour conséquence de faire baisser les exportations globales de porc du Canada par rapport à l’année précédente. Le ralentissement des activités dans les entreprises de conditionnement frappées par la COVID-19 en 2020 et 2021 a réduit la capacité d’abattage de porc dans l’Est du Canada, créant ainsi une surabondance historique de porcs prêts à l’abattage au Québec.
Mais tous ces bouleversements ont été éclipsés par les rumeurs de plus en plus persistantes voulant que la Russie masse des troupes aux frontières de l’Ukraine.
Février
Le marché canadien de l’emploi était solide. Le chômage avait reculé et s’établissait désormais à 5,5 %, un taux légèrement inférieur à celui enregistré en février 2020, avant la pandémie. En raison des restrictions liées au variant Omicron, 200 000 emplois avaient été perdus en janvier, mais cette perte a été contrebalancée en février par la création de 337 000 emplois. Néanmoins, des vents contraires avaient commencé à se lever dans plusieurs des secteurs canadiens de l’élevage du bétail, nuisant à la production.
Au Québec et en Ontario, les abattages de porcs étaient destinés à diminuer encore, ce qui exerçait une pression supplémentaire sur le rythme d’abattage nécessaire pour rattraper le retard constaté en janvier. De plus, des cas de grippe aviaire ont été signalés dans l’Est des États-Unis et du Canada, entraînant notamment la réforme de 12 000 dindes en Nouvelle-Écosse.
Puis, le 24 février, le monde entier a regardé avec horreur la Russie envahir l’Ukraine. Les prévisionnistes ont averti que si la guerre faisait chuter la production ou les exportations agricoles ou pétrolières de ces deux pays, les prix augmenteraient de nouveau à l’échelle mondiale. Les prix à terme pour le maïs, le soya, le canola et le blé ont grimpé considérablement cette semaine-là, certains atteignant même leur limite supérieure quotidienne. Cela ne présageait rien de bon pour ceux que l’inflation inquiétait.
Mars
Le 11 mars, la Banque du Canada a relevé le taux de financement à un jour, l’amenant de 0,25 % à 0,50 %, et le marché a spéculé qu’il terminerait l’année à 1,75 %. Cet optimisme n’a pas fait long feu. Dès la fin du mois, les marchés s’attendaient à ce que le taux de financement à un jour finisse l’année proche de 2,25 %.
La guerre en Ukraine frappait durement le secteur agricole. Les prix du diesel ont grimpé, car les sanctions sur le pétrole russe ont déclenché des hausses des prix à court terme. Dans l’Est du Canada, les importations d’engrais russes ont ralenti en raison des sanctions économiques imposées par l’Occident, ce qui a créé un déficit d’approvisionnement et propulsé les prix des engrais à la hausse. L’incertitude des marchés à propos de la disponibilité des denrées agroalimentaires a fait gonfler les prix des produits de base et accru la volatilité des prix.
Avril
Même si les données sur le produit intérieur brut (PIB) avaient révélé un taux de croissance annualisé de 3,1 % pour l’économie canadienne, un ralentissement se faisait sentir. On prévoyait en avril une croissance plus faible que celle observée au cours des mois précédents. Mais cette nouvelle prévision a été éclipsée par des nouvelles plus inquiétantes.
L’inflation globale se chiffrait désormais à 6,8 % et l’inflation alimentaire avait bondi de 8,8 % sur 12 mois. Sur les marchés agricoles, le blé se vendait à plus de 11 $ US le boisseau. Le prix du maïs a atteint la marque de 8 $ US le boisseau à Chicago pour la première fois depuis 2012. Cela n’a pas atténué les préoccupations des marchés qui craignaient que les attentes d’inflation élevées s’enracinent et puissent devenir la source de la croissance future de l’inflation.
La grippe aviaire proliférait, entraînant l’euthanasie de 700 000 oiseaux à ce jour sans qu’on puisse en entrevoir la fin. C’est en Alberta que l’éclosion a frappé le plus fort.
Un autre effet de la guerre? Les investisseurs se sont réfugiés dans le dollar américain en cette période d’incertitude, faisant monter sa valeur comparativement à celle du dollar canadien.
Mai
Partout au Canada, on commençait à prendre conscience que nos craintes se concrétisaient. Le taux d’inflation du mois s’était hissé à 7,7 %, soit le plus élevé en près de 40 ans.
Mais cela ne s’est pas arrêté là : une succession de chocs d’offre mondiaux ont fait grimper les prix des aliments. La guerre entre la Russie et l’Ukraine propulsait les prix à la hausse. Un resserrement des ratios stocks-utilisation étant prévu pour les principaux produits de base, l’Indonésie et l’Inde ont limité ou interdit les exportations d’importants produits agroalimentaires de base afin de garantir leur approvisionnement national. Les prix des produits de base sont montés en flèche. Les marchés ayant été rendus nerveux par les stocks restreints, cette volatilité allait perdurer.
Juin
Chez nous, la Banque du Canada prenait des décisions que peu de gens avaient anticipées. Après avoir relevé le taux de 0,5 % pour le deuxième mois consécutif (le portant à 1,5 %), la Banque a indiqué que d’autres hausses seraient nécessaires lors de sa réunion du 13 juillet. On prévoyait un taux de financement à un jour de 3 % ou légèrement supérieur pour la fin de l’année.
La hausse des coûts de production a motivé la Commission canadienne du lait à annoncer une augmentation exceptionnelle de 2,5 % du prix du lait à la ferme. Malgré cette annonce, on prévoyait que les coûts allaient dépasser les prix à la ferme.
Pendant cette période de volatilité des marchés, un autre cycle de culture était en cours. Les semis printaniers étaient pratiquement terminés dans l’Est, où l’on faisait état de la bonne santé des champs. En revanche, diverses régions des Prairies ont souffert d’une humidité excessive qui a retardé considérablement la progression des semis par rapport à la moyenne sur cinq ans. Il y a eu une bonne nouvelle cependant : les prix des engrais ont fléchi en raison d’une chute de 43 % des prix à terme de l’urée à la mi-juin comparativement à la fin de mars et l’on prévoyait qu’ils allaient continuer de diminuer pendant l’été.
Juillet
La Russie et l’Ukraine ont conclu une entente visant à permettre à des cargaisons de produits de quitter les ports ukrainiens. Les prix des cultures semblaient avoir atteint leur apogée alors que l’incertitude liée au conflit géopolitique se dissipait et qu’on recevait d’autres nouvelles sur la récolte de l’année de commercialisation 2022-2023. La période d’ensemencement étant terminée au Canada, Statistique Canada estimait que moins d’acres seraient consacrés à la culture du canola et du soya et qu’une superficie accrue servirait à la production de blé, de maïs et d’avoine.
Les incidences de la pandémie perdaient progressivement de leur emprise sur certains marchés d’animaux d’élevage. Les producteurs avicoles canadiens ont enregistré une augmentation de leur production attribuable à trois facteurs : la remontée de la demande après les ralentissements induits principalement par la pandémie, le prix favorable du poulet par rapport à celui d’autres viandes, ainsi qu’un essoufflement des importations en provenance des États-Unis.
Selon les données sur le PIB pour le deuxième trimestre, l’économie canadienne a progressé à un taux annualisé de 3,3 %, ce qui est supérieur au taux enregistré au premier trimestre (3,1 %). Néanmoins, les ventes au détail au Canada ont diminué de 2,5 % de juin à juillet, en raison principalement de la baisse des ventes d’essence. Malgré ce ralentissement des ventes au détail, la Banque du Canada a procédé à une gigantesque hausse de taux de 100 points de base.
Août
Les nouvelles projections de l’OCDE allant jusqu’à 2031-2032 appuyaient ce que certains soupçonnaient déjà, c’est-à-dire que les prix des cultures avaient atteint leur apogée pendant l’année de commercialisation 2021-2022. On prévoyait qu’ils se stabiliseraient au cours de l’année de commercialisation 2022-2023, quoiqu’à des niveaux supérieurs à ceux d’avant la pandémie. Même s’ils sont restés élevés en raison de la hausse des coûts de production, ils ont pu redescendre de leurs sommets de 2021-2022, entraînés à la baisse par une légère amélioration des ratios stocks-utilisation et par la résolution de quelques-uns des pires engorgements logistiques survenus pendant la pandémie de COVID-19.
Les plus récentes données sur l’indice des prix à la consommation (IPC) indiquant que l’inflation mesurée sur 12 mois avait augmenté de 7,6 % en juillet, il apparaissait clair que l’inflation allait être cet invité indésirable qui refuse de s’en aller. On prévoyait que les prix continueraient d’augmenter, mais plus lentement qu’au cours des 12 derniers mois.
Septembre
L’ouragan Fiona, le plus puissant jamais enregistré au Canada, a touché terre sur la côte Est le 24 septembre, apportant avec lui les précipitations pluviales les plus abondantes jamais enregistrées au pays. Plusieurs secteurs ont subi des dommages considérables, notamment ceux de la production laitière, des pommes de terre, du maïs, de la serriculture et des pêcheries.
Selon les estimations de Statistique Canada concernant la production, la récolte de maïs serait la plus abondante de toute l’histoire. Cela augurait bien pour les producteurs de l’Est du Canada, compte tenu de l’optimisme des récentes estimations de la production mondiale et des nouvelles au sujet de la Russie. Déjà que la production française de maïs était à son niveau le plus bas depuis 32 ans en raison de la sécheresse qui sévissait sur l’Hexagone, la situation a été aggravée par la récente révision à la baisse des prévisions concernant la production de maïs de l’Ukraine. Les projections du Département de l’agriculture des États-Unis (USDA) annonçaient également des baisses globales de la production de blé et de maïs de l’Union européenne. De plus, les exportations de gaz naturel russe vers l’Europe étaient si limitées qu’à la mi-septembre, 70 % des usines européennes d’engrais azoté étaient à l’arrêt complet. Les grands titres laissaient entendre que l’entente conclue avec la Russie sur l’acheminement des exportations de céréales des ports ukrainiens par la mer Noire était en péril.
La grippe aviaire est réapparue dans l’Est du Canada avec un premier cas en quatre mois. Mais c’était bien pire dans l’Ouest. Au 27 septembre, la maladie avait touché 1,1 million d’oiseaux en Alberta seulement. Plus de 2,5 millions d’oiseaux avaient dû être éliminés à l’échelle du Canada.
Octobre
Les défis liés au transport étaient une préoccupation constante au Canada et au sud de la frontière en raison de la possibilité d’une grève des services ferroviaires aux États-Unis et de la diminution des niveaux d’eau du fleuve Mississippi, par où transitent 92 % des exportations agricoles américaines. Vu la montée en flèche des coûts de transport, les producteurs canadiens faisaient face à une lame à deux tranchants. Les faibles prévisions de pluie pour le bassin du fleuve pouvaient stimuler les exportations canadiennes de cultures commerciales, mais les prix des intrants risquaient d’augmenter pour les exploitations agricoles et les entreprises canadiennes si les ralentissements n’étaient pas résolus.
La Banque du Canada a haussé le taux de financement à un jour de 50 points de base, mais en raison d’une augmentation prévue de 75 points de base du taux des fonds fédéraux des États-Unis, le huard a continué sa chute par rapport au dollar américain. Au mois d’octobre, il avait déjà perdu 10 % de sa valeur comparativement au dollar américain pendant l’année, ce qui rendait les importations en provenance des États-Unis plus dispendieuses.
Novembre
La meilleure façon de décrire l’année serait peut-être de parler de l’extrême volatilité des prix, un sujet qui a d’ailleurs refait les manchettes. Le 29 octobre, la Russie a suspendu son entente avec l’Ukraine sur le transport des céréales, ce qui a rapidement fait augmenter les prix des produits de base. Toutefois, quelques jours plus tard, la Russie a réintégré l’entente et les prix à terme ont baissé. Le 17 novembre, l’entente a été prolongée de quatre mois.
Le gouvernement fédéral a dévoilé les détails d’un programme de 1,7 milliard de dollars visant à indemniser les secteurs assujettis à la gestion de l’offre pour tenir compte des impacts de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), dont les versements commenceront au début de 2024.
Décembre
La volatilité des prix des produits agricoles canadiens s’atténue à l’approche de l’hiver, ce qui signifie que les prix pourraient être plus stables jusqu’au printemps. Chez nous, les nouvelles ont été positives pour les revenus agricoles : les recettes monétaires agricoles ont augmenté de 7,3 % au cours des neuf premiers mois de l’année par rapport à 2021. Et puisque les Prairies ont connu une bien meilleure récolte en 2022, les recettes monétaires seront encore plus élevées au quatrième trimestre. Bien que les recettes du secteur du bétail aient grimpé de 11,6 % au cours des neuf premiers mois de l’année, la tendance positive des revenus bruts a été tempérée par les fortes hausses des coûts des intrants enregistrées tout au long de l’année. La Banque du Canada a relevé le taux du financement à un jour, pour le porter à 4,25 %, mais nous croyons que les coûts d’emprunt globaux sont sur le point de se stabiliser pour la majeure partie de 2023 et que l’inflation globale des intrants agricoles devrait se modérer considérablement.
Je vous rappelle que nous ferons relâche de la publication de nos perspectives jusqu’à la semaine du 10 janvier. À notre retour, nous vous présenterons notre choix des meilleurs graphiques à surveiller en 2023.
Toute l’équipe des Services économique FAC vous offre ses meilleurs vœux pour les Fêtes et vous souhaite une bonne et heureuse année!
Rédactrice économique
Membre de l’équipe des Services économiques depuis 2013, Martha Roberts est une spécialiste en recherche qui étudie les risques et les facteurs de réussite pour les producteurs agricoles et les agroentreprises. Martha compte 25 années d’expérience dans la réalisation de recherches qualitatives et quantitatives et la communication des résultats aux spécialistes de l’industrie. Elle est titulaire d’une maîtrise en sociologie de l’Université Queen’s à Kingston, en Ontario, et d’une maîtrise en beaux-arts en écriture non fictive de l’Université de King’s College.